PICON, Antoine, 1998 : La ville territoire des cyborgs, Éd. de l’Imprimeur.

MALLET Baptiste

PICON, Antoine, 1998 : La ville territoire des cyborgs, Éd. de l’Imprimeur.


Ancien élève de l’école polytechnique, ANTOINE PICON est ingénieur des Ponts et Chaussées, architecte et docteur en histoire. Il enseigne à l’ÉCOLE NATIONALE DES PONTS ET CHAUSSÉES et il est l’auteur de nombreux articles et ouvrages situés au carrefour de l’histoire de l’architecture et de l’urbanisme et de l’histoire des sciences et techniques. Il a notamment publié ” ARCHITECTES ET INGÉNIEURS AU SIÈCLE DES LUMIÈRES ” (1988), “Claude Perrault (1613-1688) ou la curiosité d’un classique “(1988), “L’invention de l’ingénieur moderne” (1992), “De l’espace au territoire” (1997). Il a également dirigé “La ville et la guerre” (1996) et “le dictionnaire L’art de l’ingénieur. Constructeur, entrepreneur, inventeur “(1997).

La grande ville contemporaine, cette nappe d’infrastructure et d’équipements qui s’étend à perte de vue, désoriente. On la dit chaotique

C’est ainsi que débute l’ouvrage, sur ce constat que la ville contemporaine est devenue impossible à lire, comprendre, déchiffrer. Bien qu’elle ne soit que le résultat de logiques socio-économiques et techniques elle échappe aux grilles de lectures traditionnelles de l’urbanité.

En parallèle a l’évolution des villes ANTOINE PICON aborde le développement de l’individu au sein de cette complexité permanente accrue par l’essor des techniques, et développe la notion de CYBORGS.

Mi homme mi machine l’individu contemporain étend ses possibilités grâce a des extensions de son enveloppe corporelle. Il devient ainsi un individu parfait car rendu pleinement autonome par la technologie. Selon l’auteur seul ces créatures sont capables de percer le mystère des villes contemporaines et d’analyser les aspects essentiels de la grande ville d’aujourd’hui ” de son étrange parenté avec l’univers des jeux électroniques au rôle qu’y tiennent les réseaux, avant de se pencher sur son architecture.

L’individu contemporain toujours plus équipé de gadgets technologiques lui facilitant les plus simples gestes quotidiens semble a la fois apprécier le confort moderne offert par la technologie, tout en se sentant perplexe et perdu face à la complexité de nombreux de ses aspects développant pour une partie une certaine nostalgie a l’égard de cette époque non encore contaminé par le progrès technique.

La première notion forte de cet ouvrage réside dans le manque de lisibilité du monde qui nous entoure. ” On doit tourner a droite pour aller a gauche, au croisement de 2 autoroutes, commencer à descendre pour prendre l’ascenseur qui monte aux étages supérieurs. L’écart entre déplacement et mouvements du corps ne cesse de se creuser. ” La distance physique autre repère de toujours, est également mis a mal en tant que catégorie d’appréhension de la ville. ” De grandes infrastructures comme une autoroute rendent inaccessible au promeneur un endroit pourtant situé a quelques mètres de lui. ” Un site jugé excentré peut acquérir une centralité beaucoup plus importante qu’un centre historique pour peu qu’il soit mieux desservi par des moyens de transport ou qu’il soit connecté a un réseau d’information. L’espace n’est aujourd’hui plus parcourable en tout sens et semble se dématérialiser, les rapports de distance et de vitesse ne cessent de changer, les choses sont de moins en moins éloignées si l’on mesure le temps qu’il faut pour parcourir la distance qui les sépare, on gagne en vitesse, mais aussi en obstacles.

La contrepartie de cette vitesse est l’attente. Le monde d’aujourd’hui est syncopé, la durée d’attente pour embarquer dans un transport est presque semblable à celle du voyage. Ce jeu de temporalité bouleverse d’autant plus la lecture des limites de la ville territoire que celle-ci se fond dans la campagne et de manière générale, le tout s’harmonise, tout se ressemble, les mécanismes de la mondialisation estompent les paysages architecturaux locaux au profit d’images universelles dupliquées d’un bout a l’autre de la planète. ANTOINE PICON rapproche la ville territoire au monde des jeux vidéos par la caractéristique commune de se parcourir comme l’on parcoure des séquences spatiales et fonctionnelles identifiables, sans transitions, voir brutalement.

L’analogie essentielle réside ” dans la façon de les appréhender et de s’y mouvoir tout en évitant leur piège ” Le point de vue est celui du cyborg, un explorateur immergé dans le décor, n’ayant pas lu le mode d’emploi ou la carte, se déplaçant dans cet univers en tâtonnant, reproduisant des comportements issus d’une expérience individuelle vécue dans des situations similaires. C’est ce que l’auteur appelle ” la fin des modes d’emploi ” concernant les jeux vidéos mais plus largement la plupart des objets techniques qui nous entourent, les fabricants les fournissent toujours mais leur lecture est de plus en plus rare tant nous préférons découvrir leur fonctionnement en explorant les touches et l’arborescence de menus qu’elle dévoilent a travers leur écrans de plus en plus omniprésents, petites interfaces facilitant les interactions.

Ce sentiment de perte de repère, de difficulté de lecture et de compréhension du monde qui nous entoure existe dorénavant à l’échelle de ces objets technologiques. ” Les techniques prises dans leur ensemble se révèlent aussi difficiles à déchiffrer et à ordonner que les villes qui portent leur empreinte […] comme la ville territoire les techniques d’aujourd’hui réclament un nouveau type d’approche. Ces difficultés s’expliquent par plusieurs facteurs.

Aujourd’hui le contraste entre l’objet technique et le vivant devient de plus en plus flou, renforcé par l’interprétation contemporaine de la vie en termes d’informations, de codes et de programme.

Si l’on privilégie par exemple les matériaux dont il est composé, l’ordinateur est moins naturel que la table ou la chaise en bois. Mais si l’on s’intéresse à ses principes de fonctionnement, il paraît déjà beaucoup plus proche de la nature peuplée de signaux et de messages qui s’esquissent sous nos yeux que bien des objets pus traditionnels.

On assiste a une démultiplication des échelles menant du naturel a l’artificiel.

S’ajoute a cela le caractère de plus en plus hybride des objets techniques relevant de logiques hétérogènes, (Ex: la voiture mélange de mécanique et de thermodynamique) amplifié par le développement de l’électronique et la miniaturisation des composants.

Ce caractère hybride touche jusqu’aux matériaux (matériaux: composites, intelligents, formant des structures organiques)

Dans ce contexte d’hybridation généralisé le concept de lignée qui autrefois était une dimension constitutive de l’objet théorisé par le philosophe GILBERT SIMONDON, est lui aussi remis en cause.

Selon ” JOSEPH CHRISTIAN dans son Traité de mécanique industrielle une nouvelle machine ressemblait au départ à ” un ouvrage de marqueterie, formé de pièces rapportées . Avec le temps et les améliorations celle-ci devenait plus unitaire, plusconcrète “.

Aujourd’hui cette logique de concrétisation est en partie remplacée par un système qui privilégie ” une structure par couches successives, rappelant l’architecture d’un ordinateur. Couches dotées chacune de leur mode spécifique de fonctionnement. D’une structure unitaire on semble ainsi passer à un empilement. ” Ces objets techniques sont de plus en plus liés, connectés les uns aux autres, inséparables des réseaux dans lesquels ils s’insèrent et font d’avantage figure de connecteurs ou de terminaux que d’individus autonomes. “ Empilements, connecteurs ou terminaux annoncent le remplacement des objets techniques par des quasis objets auxquels il est difficile de prêter une vie autonome ” La notion de lignée dans les techniques laisse place a celle de nappe ou de paysage, paysage de la technologie contemporaine, a l’image de celui des villes territoire difficilement lisible, sans limites précises, plein d’êtres hybrides, de quasis objets.

Quant au devenir du paysage urbain, selon l’auteur ” c’est dans la construction des rocades et des autoroutes, dans les procédures de câblage et d’interconnexion que se joue le devenir urbain plus que dans l’agencement de séquences urbaines et d’édifices, si spectaculaires soient ils “. Partant du constat qu’aujourd’hui tout est possible en matière d’ingénierie, (pont, tunnel, constructions dans le désert, sur l’eau) l’homme doit trouver lui même la limite entre démesure et modestie dans ses réalisations, a l’heure ou les préoccupations écologiques ne cessent de prendre de l’importance. ” L’autolimitation du pouvoir technique de l’homme constitue un enjeu essentiel

C’est donc à travers une maîtrise intelligente du développement de ces réseaux que l’auteur voit le développement de la ville territoire, tout en reconnaissant le caractère organique que revêt leur développement ne facilitant pas son control et la planification de sa croissance.

Il prédit une ramification extrême des réseaux, une irrigation fine de la ville, en s’interconnectant de plus en plus, créant une nappe. L’interconnexion va de pair avec la multiplication des frontières, des seuils et des interfaces, c’est pourquoi les aménageurs devront s’intéresser d’autant plus a l’aménagement des ces espaces longtemps délaissés plutôt qu’a l’architecture des réseaux (ex: sortie de parking, arrêt de bus, cabine téléphonique, abord de voie ferrée, d’autoroute…).

A un urbanisme des réseaux on peut préférer un urbanisme des limites et des points de passage en prise direct sur le devenir CYBORG de l’homme. L’hybride a en effet intérêt à se définir en fonction des frontières qu’il transgresse.

La question de l’architecture contemporaine consiste à traiter ces frontières, ces seuils, ces interfaces du paysage de la technologie contemporaine qui constitue des points de passages possédant un caractère spatial, en opposition a l’écran d’ordinateur.

La discipline architecturale dans son ensemble peut être d’ailleurs interprétée comme un art de l’interface, interface entre le monde des techniques et celui des usages humains, interface entre la ville et ses fonctions élémentaires, ou encore, plus prosaïquement entre intérieur et extérieur.

D’autres prophétisent simultanément la disparition progressive des représentations traditionnelles de la production architecturale centrée sur l’objet bâtit au profit d’une conception en terme de services constituant a mettre a disposition un cadre de vie et de travail comme l’on fournit l’eau, l’électricité, le téléphone ou un accès a internet.

PICON, Antoine, 1998 : La ville territoire des cyborgs, Éd. de l’Imprimeur.