LUGON, Olivier, 2000 : Des cheminements de pensée, in Oublier l’exposition – ArtPress 21, p16.

TORRES Florent

 

LUGON, Olivier, 2000 : Des cheminements de pensée, in Oublier l’exposition – ArtPress 21, p16.

 

Dans ce texte, Olivier LUGON retrace plus de 50 ans d’évolution de l’architecture et de la conception des expositions voulues didactiques entre les années 20 et 70. Il les caractérise par la déambulation qu’elles impliquent, tout comme les expositions commerciales ou artistiques, mais surtout par leurs facultés s’apparentant à celles d’un spectacle et d’un livre confondus.

 

Il exprime tout d’abord un grand défaut des expositions antérieures à 1920, qui a persisté parfois jusqu’à tard dans de XXe siècle. Une erreur qui consisterait à penser que qu’un objet ou une œuvre exposée posséderait une capacité suffisante à produire l’impact souhaité. Ainsi, le travail de l’espace, et du déplacement ont été trop longtemps oubliés au bénéfice d’une approche identique à celle d’un magasin : un étalage aguicheur, un accrochage élégant.

 

C’est durant les 20’s qu’émerge une nouvelle manière de penser ces expositions. Désormais Il faut imaginer des constructions argumentatives ou narratives, des développements logiques, des séquences émotionnelles dans lesquels chaque objet exhibé doit désormais s’insérer, comme le chapitre d’un livre. L’itinéraire de pensée auquel on convie le destinataire y est de plus désormais solidaire d’un déplacement physique bien réel. Ces nouveautés suscitent un bel engouement pour la discipline chez les concepteurs et les architectes, tous sont séduits par cette idée pédagogique moderne, qui contribuerait, par cette implication physique à tirer enfin le spectateur de sa réception passive et distanciée pour faire de lui un agent actif et dynamique. On invente des procédés sollicitant le mouvement de l’œil, un changement de point de vue, mais surtout on commence à concevoir l’expo comme un cheminement (” la route vers le savoir “, ” l’avancée de la pensée “) . On redéfinit la transmission des idées comme gestion d’un mouvement.

 

Afin de rendre ces procédés plus efficaces, depuis les années 20 on commence également à proposer de manière croissante un cheminement unique dans les expositions (un procédé souvent assimilé à une dictature). On dirige les pas pour mieux diriger l’esprit, l’art de designer une exposition didactique devient la science de la circulation, pour une maîtrise intelligente du flux piétonnier.

 

En 1942, BAYER, décrit son travail sur l’exposition Road to Victory au MoMA comme du cinéma inversé : ” j’ai voulu renverser le processus de réception du cinéma, où c’est le public qui est statique et le film qui avance. Dans mon cas, c’est donc le public que j’ai fait avancer à travers l ‘exposition ” (un défilement d’images se succédant dans la durée et dans la profondeur). Le mouvement corporel devient, autant que les images, l’objet de son travail. Pour réaliser un scénario, il gère un circuit, pour composer un montage, il canalise des corps.

 

Bayer envisage même d’utiliser des automates pour déplacer les visiteurs dans l’expo. Le procédé aurait non seulement l’avantage d’orienter mieux que les barrières et les rampes , la direction de la visite, mais permettrait aussi à Bayer de dicter un rythme inéluctablement ( procédé utilisé la même année dans Futurama de Norman Bel GEDDES.). Dans la volonté de considérer l’exposition comme une expérience dynamique, on était allé jusqu’à la définir comme un art temporel autant que visuel (comme la musique, la danse, le théâtre et le cinéma).

 

Cependant, a réussite du Futurama ne se construit qu’au prix d’une parfaite passivité du visiteur – une sorte de renversement des premiers principes de l’exposition moderne : un déplacement sans engagement physique, une promenade sans activité du corps, un mouvement sans mobilité individuelle.

 

Après guerre dans les années 50,60, Plutôt que de continuer de fonder la communication sur une entrave à la liberté piétonne (le travail de BAYER), on va chercher à se défaire du lien entre idées et cheminement. Les designers optent pour une profusion délibérément immaîtrisable d’éléments dispersés ou superposés dans l’espace, alors vus selon le vagabondage des yeux et du pas. On quitte le cinéma pour le zapping ou le surf sur le web. L’utilisateur confronté à une multitude d’options mineures, de nouvelles distractions, voit son intérêt pour chacune d’elles chuter au fur et à mesure. Ces compositions ” libres ” conduisent finalement à ces parcours très lâches, le visiteur ère entre les présentoirs sans ordre de direction préétablis.

 

Pour conclure O. LUGON ouvre le débat entre liberté ou contrainte dans une exposition didactique. Sans apporter réellement de réponse, il interroge sur les qualités revendiquées des deux méthodes et les defauts qu’il leur a trouvés pendant son développement. En rappelant que paradoxalement on retrouvait plutôt les systèmes imposés dans les démocraties alors que les dictatures vont, des la fin des années 30, revenir à un système libre. LUGON explique finalement pourquoi les systèmes libres plaisaient tant aux régimes totalitaires, c’est qu’en fait, une telle dictature n’a simplement aucun usage de parcours de persuasion : plutôt que convaincre. Elle entend subjuguer et préféra pour cela troquer la logique du montage cinématographique contre celle du décor de théâtre.

 

LUGON, Olivier, 2000 : Des cheminements de pensée, in Oublier l’exposition – ArtPress 21, p16.