Un « objet singulier »

DAMOUR Laurence

Un « objet singulier »

« Le rôle des musées dans notre relation avec les œuvres d’art est si grand, que nous avons peine à penser qu’il n’en existe pas, qu’il n’en existera jamais, là où la civilisation de l’Europe moderne est ou fut inconnue ; et qu’il en existe chez nous depuis moins de deux siècle. »

(André MALRAUX, Le Musée imaginaire).

L’art est aujourd’hui un phénomène social, mais il n’existe que s’il est vu. Pour cela, il a été créé depuis le 18ème siècle, des institutions publiques où l’art est exposé, montré à la vue de tous : les Musées. Conçus à l’origine pour l’instruction, la transmission du savoir à travers quelques objets choisis, les musées sont devenus de nos jours de véritables phénomènes sociaux : un reflet de la société au même titre que l’étaient les cathédrales peu de temps auparavant ou que le sont aujourd’hui les aéroports, les gares (lieux d’échanges des flux, des réseaux).

Le musée est le lieu qui favorise l’accès aux œuvres d’art et participe à l’espace publique, aussi il se développe de plus en plus des architectures spécifiques aux musées. Comme ces institutions sont de véritables terrains d’expérimentation pour les artistes contemporains, ils sont de même les lieux privilégiés pour l’expression d’un objet architectural.

PETIT RAPPEL SUR L’ORIGINE DES MUSÉES.

Avant le 18ème siècle, il n’existait pas d’institution muséale publique, les œuvres étaient exposées dans les palais, les lieux de culte (églises, temples, couvents…) dans un but de représentation, de recueillement. Les collections étaient essentiellement privées. A partir du 15ème siècle, après la Renaissance, les princes italiens ont commencé à montrer leurs collections dans les cours, les jardins puis dans les galeries.

Même si depuis l’Antiquité, il existe un désir de transmettre le savoir à travers des sculptures ou des peintures, le musée comme lieu spécifique pour l’exposition des œuvres se développe au 18ème siècle (LE LOUVRE, le MUSÉUM D’HISTOIRE NATURELLE,…). Le but du musée est alors « de rendre accessible à tous le patrimoine collectif à travers une sélection d’objets (art, science, technologie, histoire…) ». Alors que la philosophie du 19ème et du 20ème siècle fonde l’autonomie de l’art (KANT,…), l’État lui construit des palais.

Le lieu muséal a beaucoup évolué depuis les palais italiens, à chaque époque correspond un type d’architecture. En premier lieu, c’est donc dans les palais que l’art est exposé (sculptures antiques…), puis au 19ème siècle, l’architecture est plutôt proche de celle des temples, monumentale (colonnes, fronton…), avec l’utilisation des palais du style Baroque ou de la Renaissance pour les peintures. Après la révolution industrielle et ses architectures de verre et d’acier recouvert de stucs ou de pierres (MUSÉE D’ORSAY, bâtiments industriels…), et après l’architecture moderne (ex. Guggenheim de F. Lloyd WRIGHT -New York,…), de nos jours, l’architecture du musée s’adapte à un art multiple (arte povera, art minimaliste, art conceptuel, land art…) et à des formes diverses (GUGGENHEIM de GEHRY à BILBAO, CENTRE G. POMPIDOU de PIANO & ROGERS, CARRÉ D’ART À NÎMES de FOSTER…).

Le musée n’est plus uniquement un lieu d’acculturation, mais un élément constitutif de l’espace public, un lieu qui rassemble des fragments d’histoire, accessible à tous. C’est un lieu fédérateur pour l’urbanisation des villes (ex. CENTRE GEORGES POMPIDOU à PARIS ou l’extension à METZ, le GUGGENHEIM de BILBAO, le projet du MUSÉE DES CONFLUENCES à LYON…). Après les premières institutions muséales monumentales, les nouveaux musées contemporain donnent plutôt l’impression d’attirer le public, d’être des lieux de consommation. Peut-on alors comparer ces musées aux centres commerciaux, aux espaces dédiés à la consommation de masse ?

Dans ce contexte, le musée (architecture) ne serait-il pas un objet d’art exposé dans la ville ?

Qu’en est-il alors des bâtiments plus « discret » ?

Avant de s’attacher à ces questions essentielles pour comprendre les relations complexes entre le musée/l’art/la ville, il est important de revenir sur leur rôle premier : rendre l’art accessible.

UN MUSÉE POURQUOI ? POUR QUI ?

Il parait évident dans la définition même du musée à sa création, qu’il est conçut pour rendre l’art accessible à tous. Comme Jean DUBUISSON dans Architecture et Musée (Un musée pour qui ? pourquoi ? comment ?), on pourrait donc logiquement répondre un musée pour tous à la question un musée pour qui ? Cependant les avis divergent, tel est le cas de Pierre BOURDIEU (L’amour de l’art, les musées d’art contemporain et leur public) qui expose le paradoxe même de la relation entre l’art et le musée : l’art est ouvert à tous (puisqu’elle peut éveiller des sensations arbitraires, sans préjugé), mais en réalité son accès est interdit à de nombreux individus (l’art est le témoignage d’une époque, de ce fait elle nécessite un apprentissage, une « culture »). Il y a donc en réalité une véritable sélection du public des expositions : sélection par rapport à l’accès à la culture et donc au milieu social.

La question du public et de sa relation à l’oeuvre est importante pour la conception du musée, puisqu’elle permet de comprendre les différents types de muséographies qui existent. Soit l’oeuvre se suffit à elle-même, n’a pas besoin de médiation, elle est donc en théorie accessible à tous. Soit au contraire, il est nécessaire d’avoir accès à un supplément de connaissances par rapport à l’oeuvre, l’époque, l’artiste, il sera alors utile d’ajouter en plus de l’oeuvre des bornes d’information,… Cette situation parait plus logique pour l’art contemporain qui est « un art en train de se faire », par conséquent on ne dispose pas toujours des clés pour le comprendre.

Le musée correspond à l’association des notions d’oeuvre d’art, de collection et de public, c’est à la fois des œuvres et un lieu. Ses trois fonctions principales sont : conserver, étudier, mettre en valeur les objets du patrimoine. Selon la fonction qui prédomine, l’espace du musée sera différent. On peut, comme le fait Damien WATTEYNE (Architecture et Musée –Surface d’exposition ou espace d’expression), repérer quelques typologies dominantes :

• les musées objets : où il existe une volonté d’identification des population antérieures, sans forcément les étudier ni conserver les objets,

• les musées territoriaux de la globalité : où sont exposés tous les objets témoins de l’histoire sur un territoire donné,

• les sociétés muséalisées : où tout un village devient musée,

• les musées de message : où les objets sont utilisés pour reconstituer une séquence muséographique avec un message prédéterminé.

Toutefois, il est incontestable ici que tout acte de création architectural est indissociable de la programmation muséale : on ne peut donc parler du contenant sans parler du contenu. Il existe une relation forte entre le bâtiment réceptacle et les œuvres qui y sont exposées, depuis les premiers musées de peinture et de sculpture jusqu’aux bâtiments plus neutres, les « cubes blancs » où sont exposés l’art contemporain.

D’après André MALRAUX, dans Le Musée imaginaire, le fait qu’un objet soit placé dans un musée impose une nouvelle relation entre le visiteur et l’objet. Le musée déplace le sens et l’usage de l’objet : faire entrer un tableau au musée c’est le soustraire à la vie commune pour le placer dans la perspective d’une histoire universelle de l’humanité.

« […] Le XIXème siècle a vécu d’eux ; et nous en vivons encore, et oublions qu’ils ont imposé au spectateur une relation toute nouvelle avec l’œuvre d’art. Ils ont contribué à délivrer de leur fonction les œuvres d’art qu’ils réunissaient ; à métamorphoser en tableaux, jusqu’aux portraits. […] Le portrait cesse d’être le portrait de quelqu’un. Jusqu’au XIXème siècle, toutes les œuvres d’art ont été l’image de quelque chose qui existait ou qui n’existait pas, avant d’être des œuvres d’art. »

(A. MALRAUX, 1947)

LE MUSÉE OBJET D’ART OU SUPPORT POUR L’ART ?

Dans Architecture et Musée –Surface d’expression ou espace d’expression, Damien WATTEYNE revient sur ce processus de sacralisation d’un objet œuvre d’art ou d’un objet quotidien quand il est muséalisé.

« Pour être muséalisé, l’objet a été transporté dans l’espace mais aussi souvent dans le temps ».

Cette association entre le concept de musée et celui d’ancienneté, d’éloignement, de rareté participe au processus de sacralisation de l’art, aussi pour l’art contemporain. Même si cette idée selon laquelle le musée change le statut d’un objet reste valable aujourd’hui, en matière d’art contemporain il y a un renversement du processus décrit par MALRAUX : les œuvres montrées sont destinées au musée dès leur création. Le musée n’est plus une suspension mais devient la destination de l’art.

Destination et suspension sont les thèmes développés par Jean-Louis DÉOTTE dans Le Musée, l’origine de l’esthétique. A partir des propos de PROUST, VALÉRY, ADORNO, DERRIDA il explique quelles sont les relations fondamentales entre l’art et le musée, le musée est-il le lieu de suspension ou le lieu de destination de l’art ? Le lieu d’exposition doit-il s’effacer au profit de l’oeuvre d’art ou au contraire l’architecture doit-elle s’imposer en tant que telle ?

Au fil des siècles, il y a eu une évolution du rapport art/musée qui a aboutit à la monstration de l’art. On peut décomposer en trois étapes la relation art/musée :

• 1ère étape du musée : musée pour l’art. Les oeuvres prélevées sur des lieux de culte n’ont plus de destination et sont uniquement suspendues. Le musée est fonctionnel (protection, conservation, lumière).

• 2ème étape du musée : art pour le musée. L’œuvre est indissociable du lieu (ex.: le musée Rivoli), avec la question de l’esthétique du musée (les nouveaux musée sont conçus comme des œuvres d’art). L’œuvre a pour destination le musée, tous les musées.

• 3ème étape : l’art est conçu pour un lieu mais pas forcément pour un autre. Le véritable destinataire de l’art moderne est le visiteur et l’architecture pour laquelle il a été pensé.

Le musée est un lieu de suspension du jugement, il fait le vide autour d’une œuvre. Mais c’est aussi un lieu du savoir. A travers l’informatisation par exemple, ou à travers l’exposition d’instruments scientifiques… L’informatisation soulève la problématique de la transformation des œuvres en documents, en matière d’information uniquement et non plus en œuvre d’art en tant que telle. En effet il y a un changement de statut de l’oeuvre, sa valeur d’information dépasse sa valeur matérielle. Cependant si on prend comme hypothèse que tout œuvre peut être informatisée (scannée, photographiée, reproduite en programme…), quel devenir à le musée ?

Ne deviendrait-il pas le musée imaginaire tel que le décrit MALRAUX en 1947 ?

« […] Aujourd’hui, un étudiant dispose de la reproduction en couleurs de la plupart des œuvres magistrales, découvre nombre de peintures secondaires, les arts archaïques, les sculptures indienne, chinoise, japonaise et précolombienne des hautes époques, une partie des l’art byzantin, les fresques romanes, les arts sauvages et populaires. […] Nous disposons de plus d’œuvres significatives, pour suppléer aux défaillances de notre mémoire, qu’en pourrait contenir le plus grand musée.

Car un musée imaginaire s’est ouvert, qui va pousser à l’extrême l’incomplète confrontation imposée par les vrais musées : répondant à l’appel de ceux-ci, les arts plastiques ont inventé leur imprimerie ».

(André MALRAUX, Le Musée Imaginaire).

Ce musée imaginaire, existe incontestablement mais met-il réellement en « danger » l’institution muséale ? L’informatisation de l’art permet certes un archivage plus rapide et moins important (en dimension) que l’art « classique ». Néanmoins, le contact physique avec les œuvres est nécessaire pour la perception (la 3ème dimension, les textures, le cadre…). Le musée imaginaire de MALRAUX, celui qui pourrait rassembler sur un support transportable toutes les œuvres d’art, rend donc plus accessible l’art, il oriente la transformation des vrais musées. L’oeuvre physique, authentique reste visible dans le musée. Le paradoxe est que, du fait de l’informatisation, seuls les amateurs d’art, ceux qui ont soif d’authenticité sont susceptibles de fréquenter les musées. Mais l’informatisation permet aussi de rendre les œuvres accessibles au plus grand nombre (Internet, livres…).

« Mais si un album consacré au Louvre est censé reproduire le Louvre […] l’ensemble des ouvrages consacrés à l’art ne reproduit pas un musée qui n’existe pas : il le suggère – et plus rigoureusement, le constitue. […] Il crée un lieu imaginaire qui n’existe que par lui.»

(André MALRAUX, Le Musée Imaginaire).

On distingue deux parallèles : l’oeuvre matérielle, exposée dans le musée, et son informatisation qui sert à l’archivage, sa connaissance,… Les œuvres d’art deviennent à la fois matérielles et immatérielles. Elles évoluent et de fait, font évoluer les musées. Pour MALRAUX, « L’évolution des musées, la naissance du Musée Imaginaire, serait plus intelligible si l’on comprenait qu’elles sont liées à une métamorphose de l’œuvre d’art, qui ne se fonde pas seulement sur le développement des connaissances […] ».

En effet, le musée imaginaire délivre du temps, alors que le musée arrête le temps : car en entrant dans un musée l’oeuvre devient œuvre d’art, inaliénable. Le portrait n’échappe pas à son époque, mais les personnages échappent au temps. La suspension de l’oeuvre, suspend également le temps et le jugement en faisant le vide autour de l’oeuvre. Se pose alors la question du type de lieu d’exposition, en particulier pour l’art contemporain. Faut-il comme le dénonce Paul VALÉRY (Le problème des musées), des lieux où on concentre les œuvres, des lieux qui reflètent la société moderne de surconsommation ? Ou faut-il des lieux plus « neutres » où l’on expose quelques œuvres qui se suffisent à elle-même, qui n’ont besoin ni d’autres oeuvres ni d’une architecture imposante pour exister ?

En d’autres termes, quelle architecture et pour quels types d’œuvres ?

Si on prend le cas de l’art « classique » (peinture, sculptures), on constate qu’il est exposé dans des architectures monumentales (anciens palais, halles…), très présentes. L’architecture en soit ne nuit pas aux œuvres, mais la muséographie devant s’adapter au lieu on assiste parfois au phénomène dénoncé par VALÉRY : la concentration d’oeuvres qui peut donner un sentiment de mal être, d’étouffement au spectateur.

Au contraire, les dimensions et la multiplicité des formes de l’art contemporain induit souvent des « cubes blancs », des lieux qui s’adaptent à l’exposition. Les œuvres modernes sont multiples et variées tant au niveau de leur support, que de leur taille ou de leur forme, des matériaux utilisés : la peinture, la sculpture, la vidéo, l’art électronique. Elles font entrer en jeu d’autres sens que la vue : le toucher, le mouvement, le son… Il est donc logique que les lieux d’exposition de ce type d’oeuvre soient nécessairement différent des musées de peintures par exemple autant pour le travail de la lumière que de l’espace en lui-même. Mais ces nouveaux musées ne sont-ils forcément que des « hangars », des dépôts de l’art ?

Le musée relève de l’architecture, c’est un édifice, un contenant. Mais il devient à l’heure actuel l’expression de l’architecte, un quasi-objet en soi. Cette architecture éveille les sens, l’émotivité du visiteur, on ne peut pas rester insensible devant le CENTRE GEORGE POMPIDOU de PIANO et ROGERS, ni devant le GUGGENHEIM de GEHRY par exemple. Les musées d’art contemporains ont complètement renversé le rapport art/musée. De simple contenant, il s’est transformé en objet d’ar(t)chitecture en soit.

Marc BARANI dans Au-delà du visuel, explique à quel point art et architecture sont complémentaires à notre époque. L’évolution de la société moderne vers une culture visuelle (image, vidéo…) se répercute au niveau de l’architecture (objets spectaculaires…). L’art est un moyen d’expérimentation, de réflexion pour l’architecture et l’architecture est un lieu d’expression pour les artistes. Paradoxalement, les lieux d’exposition deviennent de plus en plus neutres et flexibles (grands plateaux, murs blancs…) pour permettre aux artistes de s’exprimer, et les artistes sont eux fréquemment attirés par l’espace public.

Dans certains cas, par exemple pour « The retrospective that never was » l’intervention de BUREN au CENTRE GEORGES POMPIDOU, les artistes investissent les lieux entièrement (sols, plafonds, murs) et redéfinissent l’espace d’exposition. Mais plusieurs artistes contemporains utilisent l’espace public comme source d’inspiration et comme support pour leur art. Le GROUPE DUNE en est un exemple, comme ils le décrivent dans Etat de veille, ils utilisent l’architecture comme support pas l’architecture muséale, mais plutôt les façades extérieures. L’art devient urbain, tout dans la ville peut être support de l’oeuvre. La diversification des supports remet en cause l’institution muséale en tant que lieu d’exposition.

Puisqu’on peut trouver de l’art partout, pourquoi aller dans un musée?

Sûrement pour le côté sacré ou pour apprendre. Mais ne serait-ce pas un début d’explication à la tendance des musées-objets, des musées-œuvres d’art ? Les musées sont les architectures de notre temps après les cathédrales, les palais et les gares, ils reflètent la société de consommation ou de surconsommation, la société de l’image. Ils sont par ailleurs des repères forts dans la ville, des lieux « sacrés » repérables en tant que tel. Ils ont donc logiquement une expression architecturale particulière. La démocratisation de l’art, quand il descend dans la rue, concurrence les musées ; comment alors faire appel, garder ce côté sacré sans créer un objet architectural, un quasi-objet ?

Si le musée n’était pas un objet singulier, ne se perdrait-il pas dans la banalité de la ville ?

UN « OBJET SINGULIER »

« L’une des grandes difficultés de l’architecture, c’est qu’elle doit à la fois exister et rapidement se faire oublier, c’est-à-dire que tout espace vécu n’est pas fait pour être contemplé en permanence. »

(Jean NOUVEL, Les objets singuliers).

Ces propos de Jean NOUVEL lors d’un entretien avec Jean BAUDRILLARD ne concerne pas que les musées mais y sont particulièrement appropriés quand on parle de musées-objets. Si on considère le musée comme un objet singulier, un point remarquable de la ville, il doit donc exister en tant que tel.

Alors qu’à l’origine, l’édifice n’était qu’un contenant qui servait à montrer l’art à la vue de tous, il devient de plus en plus un objet repérable. Un bon nombre de musées de ces dernières années sont des vecteurs de communication dans la ville, ce sont des « totems », de véritables objets architecturaux. C’est par exemple le cas du futur CENTRE G. POMPIDOU DE METZ, du projet de MUSÉES DES CONFLUENCES de LYON, ou encore du GUGGENHEIM de BILBAO,… La problématique de ces musées-objets n’est plus de se faire remarquer, ils en reviennent à des problèmes d’exposition.

On remarque que ces musées aussi exceptionnels soient-ils de l’extérieurs en finissent souvent avec des modes d’exposition traditionnels à l’intérieur : des boites qui peuvent s’adapter à plusieurs types d’expositions. Le bâtiment devient une interface entre l’oeuvre, le spectateur et la ville. A l’intérieur, toute l’attention est portée à l’oeuvre.

Quand Hans IBELINGS compare les musées aux aéroports dans Supermodernisme, l’architecture à l’ère de la globalisation, il pourrait aussi faire référence au KUNSTHALL de l’OMA à ROTTERDAM, un quasi-centre commercial. En effet que ce soit les aéroports ou les centres commerciaux, ou ,d’après IBELINGS, les musées, ce sont des lieux hors du temps, hors la ville. Ces lieux contemporains par excellence, qui reflètent la société (changement, mouvement, image, consommation). A ROTTERDAM, Rem KOOLHAS a reprit dans son musée les archétypes des centres commerciaux : le totem qui indique le musée (ou le supermarché), la vitrine sur une grande voie de circulation, le détournement des matériaux… il travaille sur les séquences comme pour un supermarché.

Le musée doit-il être à ce point ouvert sur la ville pour démocratiser l’art?

Le contact permanent avec l’art ne lui fait-il pas perdre de la valeur ?

Même si les « ready-mades » de DUCHAMP ont montré que tout objet quotidien peut être exposé dans un musée, pourquoi aller voir des œuvres dans un musée si elles on peut les trouver dans un supermarché?

La seule différence, n’est-elle pas le fait de ne pas pouvoir acheter les objets qui sont dans le musée ?

CONCLUSION

A la fois ouvert à tous mais fréquenté par une « élite », au service de l’art et néanmoins « objet d’art », lieu sacré et lieu de consommation, reflet d’une société moderne et également témoin de l’histoire, l’institution muséale est, on l’a vu, un lieu de paradoxes.

Les relations entre l’art, son lieu d’exposition, l’architecture et la ville sont nombreuses et complexes. On peut cependant remarquer que les questionnements sont récurrents depuis plusieurs siècles. Les premières problématiques touchent avant tout aux rapports existant entre œuvres et lieu d’exposition. Puisque les œuvres ont été arrachées de leur destination première pour être suspendues dans le musée, il se pose le problème de leur présentation. Même pour l’art contemporain, le rapport entre les œuvres et le lieu est primordial. Les œuvres doivent-elles être exposées dans un espace neutre, où la suspensivité permettrait de rester plus prés de son contexte de création ? Ou au contraire, le lieu participe-t-il à la perception de l’oeuvre ?

De même, vu que l’art classique ne nécessite pas le même type de lieu d’exposition que l’art contemporain, les espaces d’expositions doivent-ils donc être flexibles pour pouvoir s’adapter à tout type d’art ? Ou bien doivent-ils être figé et dans ce cas les objets exposés devront s’adapter ?

En ce qui concerne la relation entre l’architecture et l’art, le musée est-il un objet d’art ou au service de l’art ? En d’autres termes, quand l’architecte conçoit un musée, doit-il donner plus d’importance au geste architectural, où l’édifice évincera l’art ou doit-il à l’inverse se soumettre à l’aspect « sacré » de l’art ?

Pour finir, intéressons nous aux rapports entre l’édifice, l’art et la ville : sachant que le musée est considéré comme un lieu important de la société, doit-il s’ouvrir sur la ville ? L’art qui y est exposé doit-il se montrer à l’extérieur du musée ou doit-il être conservé comme dans un « boite précieuse » ? Le musée participe à la construction de l’espace public, en est-il donc le prolongement ?

Sera-t-il un objet repère dans la ville, ou se confond-t-il dans son contexte urbain ?