LOUPPE, Laurence, 2000 : Des habitants de l’exposition, in Oublier l’exposition – ArtPress 21, p32.

DIET Audrey

 

LOUPPE, Laurence, 2000 : Des habitants de l’exposition, in Oublier l’exposition – ArtPress 21, p32.

 

Entretien avec LARYS FROGIER – directeur du Centre d’Art de la Criée LOIC TOUZE – Chorégraphe, auteur du projet « Déplacer »)

 

Aujourd’hui, les Centres d’Art cherchent à repenser le statut et la fonction de l’espace d’exposition. Le fait d’inviter d’autres disciplines, tel que la danse, sur ces lieux permet d’offrir d’autres approches autant sur le plan anthropologique qu’artistique. La danse est un moyen de transformer le lieu d’exposition en lieu d’expérimentation ou même en habitat.

 

Lors de l’événement DEPLACER qui a eu lieu à la Criée (Centre d’Art Contemporain de Rennes), une expérience a été menée par un chorégraphe, Loïc TOUZÉ. Celui-ci a cherché à transformer et questionner l’usage d’un lieu par diverses activités proposées sur un même espace d’exposition.

 

Laurence LOUPPE revient sur cet événement et interroge Larys FROGIER et Loïc TOUZÉ. Plusieurs thèmes y sont abordés :

 

LIEU D’EXPLORATION ET DE CIRCULATION :

 

L’espace d’exposition est un rectangle de 17,80/7,60m avec une grande hauteur sous plafond. Le visiteur entre directement dans l’exposition. L’espace est divisé en 2 :

 

• un grand volume non divisible, très spacieux. C’est un espace très ouvert où plusieurs activités s’y déroulent et se côtoient. Certaines zones sont fixes et l’espace central sert de lieu d’exploration, de circulation. Il est sans cesse en mutation.

 

• un volume beaucoup plus restreint, au fond, derrière une porte. Ici, l’espace est plus intime et secret.

 

Dans un couloir, Catherine Contour propose une installation sonore (dialogue entre danseurs, enregistré par Alain Michard). Ces entretiens sont diffusés comme des chuchotements et provoquent un temps d’arrêt dans l’ensemble des circulations.

 

DIFFÉRENTS ESPACE/TEMPS DANS L’EXPOSITION :

 

Comment travailler l’espace ? Quelles répartitions des activités sur l’espace d’exposition?

 

Conditionnement du visiteur :

 

L’espace est travaillé afin de mettre le visiteur dans une atmosphère particulière. Le plancher, d’un orange vif, est légèrement rehaussé. Sa réverbération et la surélévation plongent le visiteur dans une certaine ambiance. Il est ainsi préparé pour entrer dans l’exposition.

 

Différents espaces sur un même lieu d’exposition :

 

Durant l’intervention des danseurs, un espace de base de données, de documentations (vidéos, revues, livres, oeuvres…) permet aux visiteurs de comprendre les sources d’inspiration, les origines du projet artistique. L’espace est aménagé pour recevoir et informer le public (fauteuils, casques d’écoute, moniteurs, table d’accueil, revues, projections vidéos…).

 

Il existe alors 2 espaces (celui de l’action et de l’information) et donc 2 moments d’exposition. Cependant, cet espace théorique fait partie intégrale du spectacle. Les activités sont distribuées de manière à créer des relations entre art et danse. Un programme particulier mêle les deux disciplines.

 

Différentes interventions proposées sur un même lieu d’exposition :

 

L’espace est aménagé en fonction des interventions et de la demande de l’artiste.

 

• Loïc TOUZÉ intervient lors de séances intitulées « Observer ». Lors de l’intervention « Observer 3 », des coussins bleus ont été disposés sur le plancher. Le visiteur prend place sur les coussins (assis ou allongé). Il a également à sa disposition des écouteurs pour suivre des vidéos. L’intérêt étant que chacun se crée son espace, son propre univers d’exposition suivant ces envies. L’artiste intervient alors sur les espaces laissés libres. Il existe un véritable échange entre public et artiste. Nous ne sommes plus dans les conditions d’un spectacle classique ou le rapport public/artiste est bien distinct.

 

• Lors de l’intervention d’Alain MICHARD, une personnalité est invitée à participer. La performance consiste à créer un dialogue, un échange qui peut prendre différents aspects : forum de danse, repas ou conversation… Les 2 personnalités discutent, se mettent en mouvement, se reposent et le visiteur les suit pour entendre la conversation. L’intervention est complexifiée par des projections faites en même temps (entretiens avec les mêmes invités, filmés auparavant, un portrait vidéo de danseur, un film, des images-références de danse, et une œuvre de Jocelyn COTTENCIN intitulée « marche circulaire »…).

 

Très souvent, plusieurs temporalités sont créées pendant les interventions grâce à des dispositifs environnants. Le visiteur a accès à plusieurs informations et peut aller de l’une à l’autre. Il est libre de vivre l’exposition comme il le souhaite.

 

STATUT D’HABITANT DES PARTICIPANTS DE L’EXPOSITION :

 

Les événements de ce genre cherchent à faire des participants (visiteurs et artistes) des habitants de l’exposition.

 

En ce qui concerne les visiteurs, leurs comportements n’est pas celui d’un visiteur classique d’exposition, ni celui d’un spectateur. Ce genre d’exposition oblige le visiteur à être actif, à se mouvoir, à adopter une attitude, à s’impliquer, à choisir son orientation dans l’exposition. Il doit passer du temps dans cet espace. Les gens viennent, reviennent ou restent durant le temps de l’exposition. Ils deviennent alors habitants de l’exposition.

 

L’espace d’exposition devient ainsi, un lieu de travail pour les artistes mais également pour les visiteurs. On trouve d’ailleurs des étudiants des écoles de Beaux-Arts, de l’université qui viennent prendre des notes…

 

Les visiteurs semblent être autant installés dans ces lieux que les artistes eux-même.

 

L’intervention de Xavier LEROY est précédée de projections vidéos. Par conséquent, il était déjà habitant du lieu avant son arrivée. Sa présence paraît familière pour les visiteurs.

 

DESTINATIONS MULTIPLES DU LIEU D’EXPOSITION :

 

L’espace d’exposition devient tour à tour :

 

• lieu d’exposition (vidéos, photos, espaces de documentation…)

 

• forum : Christophe WAVELET proposait des échanges entre artistes et public afin d’éclairer et de mieux comprendre le projet.

 

• encore studio de danse comme lors de la séance «Observer 1 » de Loïc TOUZÉ. La performance se déroulait sous forme de studio de travail corporel. L’artiste cherchait à solliciter l’observation du visiteur par rapport à son corps, à sa respiration, au transfert de son poids ou à partir du poids d’un autre. L’objectif principal était de montrer au visiteur comment regarder son corps. Il participe et intègre le projet artistique.

 

ORGANISATIONS DES TACHES DIFFÉRENTES D’UNE EXPOSITION CLASSIQUE:

 

Ces expositions transforment les modes de travail puisque tout réside sur un échange très important entre le responsable de la structure et les artistes. Il faut réajuster en fonction de l’état d’avancement du projet. Tout ceci nécessite du temps, de l’argent, de la recherche de la part des organisateurs.

 

Le but de ces manifestations est de faire vivre l’exposition et d’inviter les participants à partager une expérience, à les initier à l’art… Nous ne sommes plus dans la contemplation, l’espace n’est pas seulement là pour les yeux. L’exposition devient lieu de vie, un espace de démonstration, praticable, où l’on peut circuler et faire usage du lieu. Le spectateur devient actif, il participe à l’exposition. Parfois même, c’est lui qui crée l’événement. Les artistes cherchent à « remettre du jeu là où les institutions sont figées ».

 

Tout ceci nous amène à repenser le lieu d’exposition comme un espace qui peut être très varié. Ici, rien n’est fixé. Les artistes composent avec le lieu et suivant leurs ressentis. L’exposition devient même éphémère. Le lieu d’exposition sert juste de support le temps de l’événement.

 

LOUPPE, Laurence, 2000 : Des habitants de l’exposition, in Oublier l’exposition – ArtPress 21, p32.