GROUPE DUNES, 2002 : États de veille, in Techniques et architecture 461, p38.

PALLOT Camille

GROUPE DUNES, 2002 : États de veille, in Techniques et architecture 461, p38.

INSTALLATIONS

Danseurs et chorégraphes au début des années 80, MADELEINE CHICHE et BERNARD MISRACHI (GROUPEDUNES), conçoivent à l’époque leurs spectacles comme des environnements où se mêlent images cinéma et vidéo, sons, textes, objets et corps des danseurs sans hiérarchie. Les images sont projetées sur du mobilier, des murs, des matériaux bruts ; une manière d’introduire des décalages dans la perception ou de modeler l’espace. En 1994, en réponse à une commande de la ville de BEZONS pour un événement dans un HLM, construit par JEAN NOUVEL, ils proposent de réaliser une installation vidéo, Portraits et Paysages. En 1999, ils se consacrent à la réalisation d’installations multimédia in situ en extérieur et en intérieur. À MARSEILLE, Vous êtes ici !, une installation sur le toit terrasse de LA FRICHE LA BELLE DE MAI. Cette installation consistait à diffuser des images et des bruits sur les toits et les façades des immeubles du quartier marseillais à la nuit tombée, images de la vie quotidienne tel un grand mur d’immeuble dont une fenêtre s’éclaire, un verre qui tinte, une lampe qu’on allume, un objet qui craque, une avenue qu’on traverse en plein soleil.

IMPACT PERSONNEL

La profusion des signes et leur simultanéité incitent à une lecture non linéaire. Le spectateur convié à la mobilité du regard est libre de produire ses propres associations. Les artistes cherchent à obtenir du spectateur une « attention flottante »: la présence et la distance à la fois ainsi que la liberté de se mouvoir. Le spectateur est son propre faiseur de sens, il devient l’ombre et le danseur de cette chorégraphie nocturne et glissante qui met tout en mouvement. Je voudrais faire un rapprochement avec le projet de Street Art de LightPainting, aucune prétention de considérer nos actions sur un même niveau, mais il me semble qu’une analogie peut être faite : la façon éphémère de révéler la nuit ce qui se passe le jour ; la nuit, en état de veille le jour, un témoin des activités naturelles, humaines et sociales.

À la différence des œuvres qui existent pour être belles, et donc de chercher à séduire tous les spectateurs afin qu’ils aient le même avis à la fin, les installations de Groupedunes sont là pour nous émerveiller mais librement, chacun interprète les images, les sons en fonction de son vécu, les visiteurs s’y reconnaissent. L’architecture a elle aussi une autre mission qu’être simplement belle, elle doit permettre l’appropriation de lieux par les utilisateurs donc toucher ces derniers en faisant appel à leur mémoire, à leurs expériences, les utilisateurs s’y reconnaissent.

Vous êtes ici ! ne donne pas de réponses à la question « comment vivre la ville, sa ville ? » mais propose que chacun en fasse sa propre expérience, sans commentaire. En cela et dans l’écriture même, le Groupedunes se rapproche des démarches post-modernes américaines.

L’EXPÉRIENCE PHYSIQUE : PROMENEUR, SPECTATEUR, ACTEUR

Si cette installation fait appel à l’expérience de chacun, le spectateur devient alors acteur. L’agencement des images, des sons, de la lumière en synchronisation sur une partition est un mode de composition qui joue sur les rapports de mouvement, sur la durée. Le spectateur soumis à une simultanéité d’événements est incité à se déplacer, à ajuster sans cesse sa vision et ses modes de lecture. Ce qui nous amène au promeneur c’est-à-dire un état de disponibilité à ce qui arrive, sans a priori, avec à tout moment la possibilité de prendre de la distance.

Cette installation comme la plupart mises en place par GROUPEDUNES sont des situations à expérimenter, elles sont de plus in situ, elles ne sont pas des objets transportables d’un lieu à un autre, en ça leur action est proche de l’architecture.

Ils prennent la mesure des lieux où ils interviennent, leurs mesures aussi, par des repérages en considérant chaque fois les possibilités de déplacements et de points de vue de spectateurs. Chaque situation est inédite et aucun des projets n’est reproductible. Un architecte suit le même cheminement et se pose les mêmes questions lorsqu’il conçoit un projet.

CHICHE et MISRACHI disent vouloir substituer aux corps des danseurs ceux des spectateurs, qui dansent aussi parfois afin de mettre les intuitions, les concepts ou les discours à l’épreuve dans l’expérience physique. L’architecture est précisément l’application de cette réflexion. Dans un premier temps, l’architecte prévoit un discours, s’inspire d’un concept et suit des intuitions, puis le bâtiment construit est le théâtre des expériences physiques, vérifiant ou non dans la réalité les pensées de l’architecte et du projet. L’espace et le temps pour un danseur sont des exercices techniques, tout comme pour l’architecte.

La découverte du lieu (toit) est un choc esthétique que, durant la promenade, on ne peut oublier. Puis au fur et à mesure que la nuit tombe, la ville se conjugue à l’installation vidéo, elle anime la nuit, sur les écrans et dans l’espace. La fragmentation des données incite à poursuivre plus loin la déambulation dans l’installation. La partition est complexe, mais la technologie se fait discrète, laissant toute priorité à l’expérience du spectateur-déambulateur. GROUPEDUNES parlent de « paysages » et de « jardins » en référence à cet état du promeneur qui semble une « humeur privilégiée pour penser léger…. »

CHANGEMENT D’ÉCHELLE

Véritable va-et-vient entre corps et images, images et vie, intime et urbain. Des fragments de vie captés : des lumières sur les objets, de la nuit sur la ville, du miroitement de la baie, de la palpitation urbaine, de son écho sur la terrasse. Groupedunes se jouent de tout.

RÉALITÉ/FICTION

Cette accumulation de l’information sous formes d’images, de sons, de mots, de textes témoigne de l’actualité mais de l’actualité ordinaire, images prélevées à l’environnement immédiat mêlant forme documentaire et fictionnelle. La mise en espace des images, du son et de la lumière dans le lieu rend à la fois l’installation réelle et virtuelle, le visiteur faisant l’interface entre le réel et le réel virtuel (les images sur les écrans). Nous pouvons créer un parallèle avec les travaux des architectes tel que GREG LYNN, travaillant sur les membranes des bâtiments comme un vaste écran de projection, une peau sensorielle.

INTIME/URBAIN

Le changement d’échelle de cette installation, c’est projeter des brins d’herbes sur un écran de 4m de hauteur sur le toit d’un immeuble d’une des plus grosses agglomérations françaises mais c’est aussi projeter une lampe de chevet sur une façade d’immeuble. GROUPEDUNES travaille sur les notions d’espace public et d’espace intime, thème inhérent à tout projet d’architecture. Dans notre projet, où s’arrête l’espace public, où commence l’espace privé, où se situe l’espace intime, est-il présent ?

L’installation porte intérêt au bruit et aux bruits, donnée que l’on doit également considérer dans nos projets. Comment notre projet laisse entrer la ville ou au contraire se détache d’elle en fonction du bruit ?

ARCHITECTURE = VIDÉO ?

« Balancer » des images sur des écrans en très grand en ville rappelle quelque peu les panneaux publicitaires, lucioles dans la nuit urbaine. Mais dans cet « état de veille », l’installation est beaucoup plus subtile. Cependant, qu’est qu’on retient d’un panneau publicitaire : le panneau, sa situation spatiale ou son contenu ? La réponse semble être son contenu, autrement depuis fort longtemps les publicitaires auraient arrêtés de communiquer ainsi avec la société. Dans une exposition vidéo, que retenons nous : notre parcours, la scénographie ou le contenu des images et vidéos perçues ?

Ce questionnement m’amène à une nouvelle question : peut-être l’architecture peut devenir elle-même vidéo , devenant ainsi un lieu d’interaction en perpétuelle évolution et perpétuel changement.

GROUPE DUNES, 2002 : États de veille, in Techniques et architecture 461, p38.

GROUPE DUNES, 1994 : Portraits et paysages, BEZONS, immeuble Christophe Colomb, FRANCE.

GROUPE DUNES, 1999 : Vous êtes ici !, installation vidéo , MARSEILLE, Friche la Belle de Mai, FRANCE.

GROUPE DUNES, 2004 : Façades , une installation lumière, vidéos et sons, MARSEILLE, Friche la Belle de Mai, FRANCE.

http://www.groupedunes.net/