TANIZAKI, Junichiro, 1933 : Éloge de l’ombre, Éditions Publications orientalistes de France .

PUIGSEGUR Erwan

TANIZAKI, Junichiro, 1933 : Éloge de l’ombre, Éditions Publications orientalistes de France .

L’Éloge de l’ombre de TANIZAKI JUNICHIRO est un essai sur la société japonaise qui est aux yeux de l’auteur devenue trop occidentalisée par l’ industrialisation portée par l’ère MEÏJI (XIXe-debut XXe siecle). Une éloge de l’ombre, comme pour mettre en valeur les choses du début du XXe siècle à l’heure des flux d’une mondialisation s’annonçant déjà toujours plus présentes.

L’ombre et la lumière comme pour révéler le désir du secret (le Nô), du silence, pour voiler le mystère (PARMIGGIANI, musée FABRE (23 Mars 2002)).

Le mystère, pour l’expérience de la présence enracinée dans le sens même de l’être atteint par et dans l’espace méditatif (LOUIS KAHN, Silence and Light). L’espace méditatif qui est on le sait le parfait représentant de l’abstraction et de l’intemporalité, qui pourrait se représenter par les écris de ARTHUR SCHNITZLER avec « (…) le silence qui absorbe tout bruit (…) je perds pour ainsi dire la notion du moi, et je cesse d’être réellement pour m’incorporer entièrement à la nature (…) » ; mais aussi par les écrits de DIDEROT avec La lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient (1749) où l’obscurité favorise la méditation.

Cette poétique de l’ intemporalité que l’on retrouve dans l’œuvre de TADAO ANDO (Tadao Ando : architecte du silence de JEAN ANTOINE) qui ne veut retenir qu’un élément de la nature ; la lumière et donc l’ombre…

L’ombre qui a plusieurs sens dans la dialectique japonaise (KUNIO KUWAE, Manuel de Japonais Volume 1), ‘Kage‘, c’est l’absence de lumière, mais aussi l’imitation, le double ; elle peut même être synonyme de clarté (‘tsugi kage‘ : clarté de la lune), montrant bien là le rapport d’ évidence se trouvant entre la lumière et l’ombre. Chez KYOKA (cité dans l’oeuvre de TANIZAKI), ce sera aussi la trace, le fantôme, la réminiscence car l’ombre n’est en rien inférieure à l’objet qu’elle double. Car son immatérialité et son inaccessibilité inspirent un désir nostalgique d’une image disparu a chaque seconde qui passe.

Or : (image x lumière) / temps = fréquence de flux vus .

Est ce là l’image de la « complexité de l’expérience quotidienne » ( THOM MAYNE, Morphosis: Connected Isolation) que l’on retrouve d’ailleurs chez WILL EISNER (NY trilogie) ?

Dans l’architecture, la thématique de l’ombre et de la lumière n’est plus à prouver. Pour ma part, je vois ce travail être quelque chose se rapprochant de l’oeuvre d’un MICHAEL HEIZER (la trace en architecture et le land art), ou d’un GOETHE dans son Traité des couleurs (1810). Car comme TANIZAKI, j’aimerais faire revivre « cet univers d’ombre, (…) plonger dans l’ombre ce qui est trop visible et en dépouiller l’intérieur de tout ornement superflu » pour mettre en valeur l’essentiel des choses selon moi ; le hasard de la vie, la culture d’un regard idiosyncratique (THOM MAYNE), des phrases non prononcées, le non fini (sa trace ?) du silence.

Car si l’architecture ne doit se fixer qu’un seul objectif, c’est bien celui de clarifier ses intentions et de réaligner ses prétentions afin de refléter la richesse de notre monde pluraliste. La cité moderne, dystopique (voir Les utopies positivistes), additionnera les différences plutôt que de les segmenter. Une ville est un organisme vivant, une œuvre (l’art dans la conception) en chantier, un empâtement de formes nées de vagues d’habitation successives (dynamisme / temporalité/ flux) jouant du coup avec la lumière indispensable à tout corps moléculaires devenu espace méditatif dans le sens où il résonne d’une certaine manière avec son environnement.

AMIC, Sylvain; PARMIGGIANI, Claude, 2003 : Parmiggiani, ARLES, Éditions Actes Sud.

PARMIGGIANI, Claude, 2002 : Sculpture d’ombre, Exposition Musée Fabre de MONTPELLIER, 23 mars-31 août 2002.

DIDI-HUBERMAN, Georges, 2001 : Génie du non-lieu, PARIS, Éditions Minuit.

KAHN, Louis Isadore, 1979 : Silence and Light, in Between Silence and Light, LOBELL, John, Editions Shambhala Publications.

SCHNITZLER, Arthur, 1994 : La pénombre des âmes, Éditions Stock.

DIDEROT, Denis, 1749 : La lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient, LONDRES.

ANTOINE, Jean, 1994 : Tadao Ando : architecte du silence, LA SEPT VIDEO, 30mn.

KUWAE, Kunio, 2006 (1979) : Manuel de japonais, Volume 1, Éditions L’asiatique, Collection Connaître le Japon.

KYOKA, Izumi, 1900 : K?ya hijiri , Le saint du mont Kôya, JAPON.

INOUYE, Charles Shiro, 1996 : Izumi Kyoka and language, in Harvard Journal of Asiatic Studies.

MAYNE, Thom, 1995 : Morphosis: Connected Isolation, Academy Editions, Architectural Monographs No 23.

EISNER, Will, 2008 : New York Trilogie, in Tome n°1 La ville, Editions Delcourt, Collection Contrebande.

TAYLOR, Mark; HEIZER, Michael, 1991 : Double Negative – Sculpture in the Land, Rizzoli, NEW YORK.

HEIZER, Michael, 1969 : Double Negative, Mormon/Virgin River Mesa, OVERTON, NEVADA, USA.

GOETHE, Johann Wolfgang von, 1808-1810 : Traité des Couleurs, in Zur Farbenlehre.

TANIZAKI, Junichiro, 1933 : Éloge de l’ombre, Éditions Publications orientalistes de France .

http://pagesperso-orange.fr/laurent.buchard/Japonisme/