SINCLAIR, Iain (2011) : Londres 2012 et autres dérives, Manuella Editions.

Iain SINCLAIR est né en 1943 à Cardiff. Ecrivain et cinéaste, il vit désormais dans le quartier très populaire d’Hackney de l’est londonien. Depuis les années 80, il se définit comme un marcheur urbain …

Dans l’ouvrage étudié, qui est en réalité un recueil de quatre textes : les barrières de la guerre, le premier départ, trois portraits et les jardins du paradis, il nous fait partager ses errances, ses dérives, au cœur des oubliés de la ville.

D’ailleurs nous pouvons définir le terme dérive de plusieurs manières :

Dérive

Fait de s’écarter de la voie normale, d’aller à l’aventure, de déraper (Définition Larousse)

Passage rapide entre les ambiances urbaines

« La dérive est une technique de déplacement sans but, elle se fonde sur l’influence du décor »

Guy DEBORD, 1954

(Définition du site http://www.urbain-trop-urbain.fr)

C’est cette seconde définition qui correspond le mieux au travail de Iain SINCLAIR.

On peut d’ailleurs établir une correspondance entre sa démarche littéraire et certaines démarches artistiques, comme par exemple, le travail de Richard Long, un autre marcheur. En effet, depuis 1998, Iain SINCLAIR rend compte par ses écrits de ses marches urbaines, qu’il s’agisse de leur préparation, de leur accomplissement (l’action) ou bien de leur souvenir. Toutefois, là où il se distingue des artistes du land’art tel que Long c’est qu’il n’y a pas de volonté à laisser son empreinte, si éphémère qu’elle puisse être, dans les lieux traversés. Ses flâneries ne sont, la plupart du temps pas solitaires et il est souvent accompagné de ses amis.

La première définition, le dérapage, correspond plutôt à l’état des lieux qu’ils nous décrits, les impensés de la ville, les territoires en marge victimes de dérives urbaines.

Le 1er texte qui nous est donné à lire s’intitule les barrières de la guerre, c’est le dénominatif trouvé pour les palissades fraîchement peintes et repeintes de bleu qui viennent clore le chantier du village des athlètes des JEUX OLYMPIQUES 2012. L’opération est appelée par le service communication des J.O « des lits pour les athlètes, des logements pour les londoniens ».

Un territoire jusqu’alors pollué, colonisé par les sans papiers chinois, les sans-abris, les ouvriers polonais devient subitement le lieu de toutes les spéculations foncières. La condition n°1 au démarrage du chantier est de vider le quartier de ses habitants. Les maisons brûlent, un théâtre victorien brûle, toute la faune est reconduite à la porte. C’est la tabula rasa.

« Le Stratford circus a avalé le Théâtre Royal (…) provoquent du même coup une éruption de Pizza Express, de restaurants Carribean Scene et de multiplexes à bas prix » (p. 38)

Dérive, flânerie sont interdits dans l’enclos mais un circuit autorisé est mis en place où Iain SINCLAIR s’engage avec le photographe, Stephen GILL qui connaissait bien les lieux … avant. La permission de prendre des photos lui est refusée, il dira « J’ai eu le sentiment qu’on m’avait tout pris dans mon territoire … »

SINCLAIR révèle quelques scandales : les fuites du produit polluant Thorium, le déplacement de jardins ouvriers correspondants à l’idéal du quartier en devenir mais malheureusement situés à l’emplacement choisis de la barrière. Ainsi il dénonce une prise de site violente et irréfléchie « où tout est voué à disparaître ou à être corrigé ». Selon SINCLAIR l’héritage des jeux est « dépossession, visions futuristes imposées aux forceps, honte durable ». Reste à voir si, malgré tout, le succès du nouveau quartier sera au rdv ?

Le second texte, le premier départ, est un regard posé lors de marches en compagnie du photographe Marc ATKINS sur les graffitis du quartier d’Hackney. La description des œuvres, simple graff apposé sur une porte ou plus risqué perché sur un toit ou encore véritable fresque m’ont rappelé une exposition de 2009 à la fondation quartier « né dans la rue ». Dans un monde où tout s’achète, ironie du sort, le graffiti a passé la porte des galeries d’art !

Les taggueurs partagent avec l’auteur le goût de la marche : « Marcher est la meilleure façon d’explorer et de tirer parti d’une ville : de ses transformations, de ses glissements, des endroits où le heaume de nuage se brise, du mouvement de la lumière sur l’eau. Pour cela rien de mieux que la dérive volontaire : arpenter le bitume dans un état de rêverie éveillée, pour laisser surgir la fiction d’un motif sous-jacent ».

Trois portraits, est comme son nom l’indique l’écriture de trois portraits d’amis de SINCLAIR. L’un d’entre eux est David GASCOYNE, décrit comme un psycho géographe.

Je m’interroge et cherche alors sur cette discipline de la psycho géographie :

Selon Guy DEBORD qui l’a défini en 1955, « La psycho géographie se proposerait l’étude des lois exactes, et des effets précis du milieu géographique, consciemment aménagé ou non, agissant directement sur le comportement affectif des individus. »

(source wikipédia)

A mon sens SINCLAIR est lui aussi psycho géographe, ses écrits permettent de dresser des cartes mentales évidemment subjectives de sa ville. D’ailleurs dans l’ouvrage étudié tous les lieux décrits sont soulignés et référencés sur la carte en couverture, permettant d’associer l’image que l’imagination construit à la lecture à un emplacement géographique.

Enfin, les jardins du paradis, est le récit d’une marche, en compagnie de son ami peintre Renchi BICKNELL au delà du périphérique de la M25 qui ceinture LONDRES. Ce territoire en marge accueille prisons et hôpitaux psychiatriques en ruine, repoussés aux limites de la ville. Ils ont été abandonnés, il semble, du jour au lendemain, et les fantômes sont nombreux sur le lieu abandonné trop vite.

Cette description fait écho à des souvenirs personnels de relevés dans des bâtiments ayant été squattés et murés brutalement ou encore aux bureaux de la rotonde ferroviaire à Grigny, désertés soudainement après la faillite de l’entreprise. Il reste des affaires qui ne retrouveront jamais leur propriétaire, recouvertes de poussière, offrant un arrêt sur image et révélant la présence incroyable des vies antérieures résonnant dans les murs.

SINCLAIR et BICKNELL marchent le long de l’autoroute puis dans un parking.

« Watford ne faisait sens que si vous conduisiez (…) Incapables de prendre une décision, nous avons décidé de marcher plus vite. Dans le crépuscule, à la lueur des pleins phares, il était impossible de différencier un collège théologique d’un centre de réhabilitation. Ou d’un ancien asile. »

C’est sans doute une sensation étrange de se déplacer à pied dans un lieu conçu uniquement pour l’automobile et il est surprenant que de tels espaces aient été conçus alors que la marche, comme le rappelle DUTHILLEUL n’est pas un mode de transport mais tout simplement l’état normal de l’homme debout. Il est donc des espaces dont le corps est exclu, la marche est un moyen de reconquête et de réappropriation possible de ces lieux.

Tous ces textes, récits de dérives urbaines sont l’émergence d’un nouvel engouement pour les oubliés des villes. Les arpenteurs sont aussi peintres, écrivains, photographes et rendent compte de leurs découvertes. Ils sont quelquefois appelés par les médias les nouveaux explorateurs urbains. Serait ce des nouveaux romantiques attirés par une esthétique de la ruine différente : la friche industrielle, héritage du 19ème et à présent 20ème siècle ?

Ils soulèvent parfois la question de comment réinsuffler de l’urbanité avec justesse en ces lieux ? La marche peut sans doute aider à comprendre …

AZE C.

 

 

SINCLAIR, Iain (2011) : Londres 2012 et autres dérives, Manuella Editions.

FORBIDDEN PLACES (2012) : http://www.forbidden-places.net/

SINCLAIR, Ian (2011) : http://www.iainsinclair.org.uk/2011/05/01/londres-2012-et-autres-derives/

URBAIN TROP URBAIN (2012) : http://www.urbain-trop-urbain.fr

DEBORD, Guy, 1957 : Rapport sur la construction des situations, Internationale lettriste.

DEBORD, Guy, 1967 : La Société du spectacle, Buchet-Chastel.