L’HERBIER, Marcel, 1924 : L’Inhumaine , film, FRANCE, 128′.

PUIGSEGUR Erwan

L’HERBIER, Marcel, 1924 : L’Inhumaine , film, FRANCE, 128′.

Femme fatale et cantatrice, Claire Lescot donne de nombreux récitals et jouit d’une grande renommée. Entre tous ces admirateurs règne une rivalité sourde .Tous veulent attirer à eux seul cette femme fêtée dont les triomphes n’ont pas diminué la solitude. Car en société elle se montre hautaine et froide. Elle réunit un soir dans sa maison, temple de la modernité (décor de Fernand Léger et Mallet Stevens), le tout Paris. Un invité, Einar Norsen, s’avère être en retard. Elle fait servir le dîner sans l’attendre. Blessé par la méchanceté successive de Claire, Norsen monte un faux accident dans lequel il fait croire à sa mort. A cette nouvelle, Lescot est huée lors d’un récital au théâtre des Champs Élysée…

Simpliste et dénué d’intérêt… voilà comment, par un jeu de mots facile et désuets, on pourrait évoquer ce film si on se penche que sur la trame de l’histoire…du moins à première vue.

Séquence, rapport de temps, la « musique » d’un film muet…

Les rythmes, voilà la vraie problématique de ce film finalement très bien menée de Marcel L’Herbier.

Ce film muet, qui rappelle quelque part l’opéra dans le mélange des arts qu’il met en scène par la succession des divers plans.

La succession de ces plans toujours lumineux et soignés qui font penser à une certaine musicalité aux formes très tendues, très rythmique et /ou très violente ou tout son contraire, avec à ce moment là, une « musique » plus expressive.

Cet opéra qui vient en résonance dans un film muet par le minimalisme (les débuts du minimalisme) dans l’attitude de L’Herbier sur ses prises de vues très expressives et inventives (Le cinéma n’est pas si vieux à ce moment là, avant ; c’était la photographie/la peinture) est mise en valeur par le travail sur les décors.

Ces décors (art déco) mis en relief par un travail sur le noir et le blanc de Fernand Leger et Mallet Stevens (Théoricien de l’art déco, fondateur de l’ UAM (Union des Artistes Modernes) concepteur du pavillon du tourisme de l’exposition internationale des arts décoratifs et modernes industriels) à la manières des blanches et noires d’une portée musicale. Des notes à ce moment là figées, mais qui viennent se mettre à vibrer (le son est une vibration) avec les mouvements de la caméra (mise en scène de l’architecture ?)… Les mouvements de la caméra qui viennent mettre en valeur des éléments très “fort” de l’époque puisque ce film est résolument influencé par l’expressionnisme allemand et/ou le futurisme. En effet, on peut y voir la mise en valeur de la voiture, de la croisière (paquebot ? On peut penser là à Le Corbusier, « Vers une Architrecture »), de la vitesse, mais aussi de la machine (le laboratoire de Norsen) qui serait capable de redonner la vie (on peut se référer là à la machine à habiter de Le Corbusier).

Finalement, ce film nous ouvre à une réflexion sur l’architecture à travers le traitement de ces notes particulières, d’une simplicité remarquable (Adolf Loos, “Ornement et crime“).

Je commençais en écrivant à propos de la musique d’un film muet, mais l’architecture ne serait elle pas la représentation exacte de cela ?

Laisser au vide sa place, laisser au silence sa place, dans le mouvement ou l’immobilité.

Ce mouvement (et cette immobilité) est inscrit dans des séquences musicales (le rythme en architecture est bien connu)…

N’est ce pas là un vecteur de création de l’architecture ? Ne sommes nous pas un peu compositeurs musicaux (d’espaces ?) quand nous nous exerçons à mettre en relation différents volumes à la manières des plans d’un film ? Le Silence n’est il pas Architecture (Louis Kahn, « Silence & Light ») ?

Et le bruit /son ? Et La lumière / l’ombre ? Le minimalisme (voir plus haut) qui vise à priori à réduire à quelques éléments tous les possibles ne doit il pas venir se mêler à une note dissonante qui viendra magnifier l’ensemble architectural dans sa dimension paradoxale (Xenakis ?) Mais il ne faut pas oublier que l’architecture doit être porteuse de sens et de dialogue, et donc ne pas omettre que cette ‘musicalité’ s’inscrit dans un contexte donné…

L’HERBIER, Marcel, 1924 : L’Inhumaine , film, FRANCE, 128′.

LE CORBUSIER, 1923 : Vers une architecture, Paris.

LOOS, Adolf, 1908 : Ornament und Verbrechen.

KAHN, Louis Isadore, 1979 : Silence and Light, in Between Silence and Light, LOBELL, John, Editions Shambhala Publications.

XENAKIS, Iannis, 1958 : Poème éléctronique, un bilan du monde moderne, film,FRANCE, 8′.

XENAKIS, Iannis, 1958 : Notes sur un geste électronique, in PETIT, Jean : Le Poème électronique de Le Corbusier, PARIS, Éditions de Minuit.