CHAPEL, Enrico, 2010 : L’ oeil raisonné : l’ invention de l’ urbanisme par la carte, GENÈVE, MétisPresses, 2010.

L’avènement de l’aire industrielle au XIXe siècle amplifia fortement le développement anarchique des villes, induisant l’apparition d’un nouveau champ disciplinaire : l’urbanisme vers la fin du XIXe siècle. Cette discipline succéda à la « poléographie «, terme issu du grec, composé de polis et de graphein. Graphein signifiant dessiner et plus largement écrire, polis étant la cité : dessiner la ville.

 

L’ouvrage d’Enrico Chapel aborde sous un angle historique l’imagerie statistique -plus précisément la carte- intervenant dans le champ des politiques urbaines et territoriales. Cependant, sa finalité n’est pas l’étude de la carte et de ses composants (sémiologie graphique), mais une réflexion sur la carte statistique comme vecteur de construction des savoirs liés à l’urbanisme, et outil de légitimation de la discipline en tant que science.

 


CHAPEL, Enrico, 2010 : L’ oeil raisonné : l’ invention de l’ urbanisme par la carte, GENÈVE, MétisPresses, 2010.

 

« Notre espoir est de prouver que la carte statistique est impliquée dans les tentatives de promouvoir la ville au statut d’objet scientifique dans un champ, celui de l’aménagement urbain, où ont souvent prévalu les démarches artistiques et les approches intuitives, de même que les vues à court terme «. Enrico CHAPEL, 2010 : L’œil raisonné , pp.13

 

 

Quatre grands chapitres structurent l’ouvrage : Le premier présente le contexte politique, social et intellectuel des premières décennies du XXe siècle, dont les préoccupations ont stimulé l’élaboration de cette discipline relativement nouvelle. Il montre aussi le recherche –utopique- d’alors d’une « science unique et totale « (Léon JAUSSELY 1919 : Chronique de l’urbanisme , la vie urbaine n°1-2, pp.186).

 

 

Le deuxième développe les études menées par Marcel POËTE, architecte et Louis BONNIER, historien, pères fondateurs et maîtres à penser de toute une génération d’architectes urbanistes. Ces derniers ont inventé les modes de représentations cartographiques permettant d’imaginer PARIS hors de ces frontières, un grand PARIS agglomération, en quantifiant l’accroissement démographique de la capitale, mais aussi ses mouvements de populations. Leurs recherches visaient à fournir par la carte des transcriptions de statistique de la manière la plus objective plausible. On notera tout particulièrement l’invention des isochrones, cartes permettant de représenter les destinations accessibles dans un même temps donné en fonctions des moyens de transports disponibles, des espaces libres et des contraintes de sites. BONNIER dirigea la Commission d’extension de PARIS. Répondant directement à une commande de l’institut d’histoire, de géographie et d’économie urbaine, qui était la chambre de résonance du conseil municipale de PARIS.

 


PARIS, recensement de la circulation, 1881-1882 (cartogramme) 1883

 

 

 


Plan d’extension de PARIS, 1913.

 


PARIS, carte des régions isochrones, BONNIER.

 


AMSTERDAM, Densité de population / Espaces Verts, 1935.

 


ARNTZ, Gerd, 1927 : Zwölf Häuser der Zeit, Berlin, Kunsthalle Ausstellung Rationalisierung.

 


Analyse urbaine de la ville de PARIS, IV° CIAM 1933.

 


Schémas de l’évolution de PARIS après la conquête romaine, (BARDET) 1938.

 


Plan d’évolution cinématique de LOUVIERS, (BARDET) 1942.

 


Planche de comparaison des profils sociologiques entre plusieurs villes (BARDET).

 


Les quartiers insalubres de Paris in SERT, José Luis (1942) : Can our cities survive?:

 

Le troisième chapitre s’intéresse à la contribution importante des architectes modernistes à la définition des outils de communication de l’urbanisme en focalisant sur la période s’étalant entre le quatrième et le cinquième CIAM (congrès international d’architecture moderne). Parmi les principaux porte-paroles, figuraient Siegfried GIEDION, Cornelis VAN EESTEREN, LE CORBUSIER, Walter GROPIUS…

L’auteur montre combien les travaux internationaux des modernistes ont produit des cartes et des médias disparates, étant issus de pays aux cultures et aux colorations politiques très diverses. « Comme les « constatations « qui sont tirées de leur analyse, les cartes de la ville fonctionnelle sont donc le résultat d’une production collective où plusieurs positions idéologiques et intellectuelles cohabitent dans une perspective doctrinale commune «. (Enrico CHAPEL 2010 : L’oeil raisonné, pp.97).

Dans cette recherche d’outils cartographiques adaptés, le primat étant donné à la communication des principes de doctrine, et la construction du savoir passant au second plan, les cartes des CIAM tendaient à simplifier leur message, et à masquer la diversité et la complexités de la matière urbaine qu’elles visualisaient (Aucune mention de la fonction agricole des agglomérations humaines par exemple)

 

 

Enfin, le quatrième et dernier chapitre, qui se situe dans le contexte de reconstruction après à la seconde guerre mondiale, livre la réflexion de l’architecte Gaston BARDET, sur la dimension sociologique des villes, à travers ses cartes de « topographies sociales « et ses « profils psychologiques des villes». Il développa dans ce but un panel complexe de modes de représentation, centrés sur l’homme, propres à montrer que la ville ne se résume pas à un découpage de zones identifiable du point de vue fonctionnel, mais est constituée d’une foison “d’êtres urbain” aux destins croisés et aux besoins et désirs différenciés. En cherchant a capter toute cette complexité de la dimension urbaine, son travail s’opposait à celui des modernistes, qui opérait principalement par simplification des données statistiques. Ses cartes et diagrammes ont renouvelé à leur tour les représentations de la ville d’une manière à la fois dynamique et très plastique.

 

 


BARDET, Gaston, 1945 : Topographie sociale du centre d’une ville de dix mille habitants.

 

 

Enrico CHAPEL conclu: « La statistique graphique est bel et bien un police de caractères [… ] elle en vient à devenir un outil unitaire qui qui devient totalitaire dans la vie de ceux pour qui l’aménagement n’est pas un objectif, mais un moyen d’agir sur la vie des hommes «. « Mais La statistique graphique a pu fournir un langage de référence à l’action de nombreux urbanistes offrant une vision générale disons moyenne et régulière de l’espace urbain «. (Enrico CHAPEL 2010 : L’oeil raisonné, pp.199)

 

 

CHAUDURIE R.

 

CHAPEL, Enrico, 2010 : L’ oeil raisonné : l’ invention de l’ urbanisme par la carte, GENÈVE, MétisPresses, 2010.

ARNTZ, Gerd, 1927 : Zwölf Häuser der Zeit, Berlin, Kunsthalle Ausstellung Rationalisierung.

SERT, José Luis, 1942 : Can our cities survive?: an ABC of urban problems, their analysis, their solutions, Cambridge, Harvard University Press, 1942.

BARDET, Gaston, 1945 : Topographie sociale du centre d’une ville de dix mille habitants, in Économie et Humanisme n° 17, janvier-février 1945.

MARREY, Bernard, 1988 : Louis Bonnier, 1856-1946, Paris, IFA, 1988, collection «Architectes».

JAUSSELY, Léon, 1919 : Chronique de l’urbanisme , in LA VIE URBAINE n°1-2, pp.186.