MAROT, Sebastien, 2008 : Palimpsestuous Ithaca, A Relative Manifesto for Sub-Urbanism, Thèse.

INTRODUCTION:

Sébastien MAROT est né en 1961, philosophe de formation, il a été délégué général de la SOCIÉTÉ FRANÇAISE DES ARCHITECTES de 1986 à 2002, où il a fondé et dirigé la Tribune d’Histoire et d’Actualité de l’Architecture, puis la revue Le Visiteur (ville-territoire-paysage-architecture).

Ses recherches et ses publications ont porté sur la généalogie des théories et des pratiques contemporaines de l’architecture, de l’urbanisme et de l’architecture de paysage, et en particulier sur la mise en scène de l’épaisseur historique des situations construites par ces différentes disciplines.

En marge de ses activités éditoriales et critiques, il a été invité à enseigner dans de nombreuses écoles d’architecture ou de paysage en Europe et aux ÉTATS-UNIS : IAUG (GENÈVE), ENSP (VERSAILLES), AA SCHOOL (LONDRES), GSD HARVARD (BOSTON), UPENN (PHILADELPHIE), CORNELL (ITHACA), UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL, etc.

Membre fondateur de l’ECOLE D’ARCHITECTURE DE LA VILLE & DES TERRITOIRES DE MARNE LA VALLÉE, il y enseigne depuis sa création en 1998. Par ailleurs, il est professeur invité à la chaire de paysage de l’ÉCOLE POLYTECHNIQUE FÉDÉRALE DE ZÜRICH (ETHZ).

En 2004, l’ACADÉMIE D’ARCHITECTURE lui a décerné la médaille de l’analyse architecturale.

En septembre 2008, il est nommé par le Ministère de la Culture membre du CONSEIL SCIENTIFIQUE POUR LA CONSULTATION INTERNATIONALE DU GRAND PARIS de l’agglomération parisienne.

Comparaison de Sébastien MAROT du palimpseste géologique d’ITHACA et la stratification programmatique de Rem KOOLHAAS pour les gratte-ciels de NEW YORK

Il a soutenu à l’EHESS une thèse d’histoire profilée comme un “Manifeste relatif du sub-urbanisme” : Palimpsestuous Ithaca, juillet 2008.

Ce dernier est censé apporter un contrepoint à la fois historique et théorique au manifeste de Rem KOOLHAAS, Delirious New York, A Retroactive Manifesto for Manhattan (1978), que l’auteur propose de considérer comme le manifeste contemporain du super-urbanisme ou sur-urbanisme.

Sébastien MAROT justifie l’idée d’un manifeste relatif par le fait que sub-urbanisme et super-urbanisme représentent deux subversions de l’urbanisme traditionnel (c’est-à-dire de composition), mais symétriquement opposées : tandis que l’une invente le programme à partir du site, l’autre génère le site à partir du programme.

Le but de ce livre est d’illustrer, à partir d’un site présenté comme opposé à celui de MANHATTAN, cette capacité du site à inspirer et soutenir une série d’entreprises non seulement architecturales et urbanistiques, mais aussi politiques, éducatives, scientifiques, artistiques et poétiques.

ROWE, Colin; KOETTER, Fred, 1975, Collage City, in Architectural Review 158, no.942, pp66-90.

UNGERS, Oswald Matthias, 1978, Die Stadt in der Stadt, Berlin das grune, Stadtarchipel, 1977, in Lotus International, MILAN, n°19, 1978.

KOOLHAAS, Rem, 1978, Delirious New York : A retroactive Manifesto, Oxford University Press, NEW YORK.

LA VILLE D’ITHACA:

Le choix de l’auteur s’est porté sur la petite ville d’ITHACA où se trouve l’Université CORNELL, et où l’idée de ce livre a pris forme. Cette ville, située dans le même État que NEW YORK, dont elle est une sorte de contraire géographique, présente en effet l’avantage polémique d’avoir été fondée par le principal concepteur de la grille de MANHATTAN (le géographe Simeon DE WITT) et d’être l’endroit d’où Rem KOOLHAAS commença précisément à ourdir sa légende manhattannienne.

Comme son modèle, Palimpsestuous Ithaca est un montage historiographique qui superpose plusieurs récits, empruntés à des aventures très différentes par nature, mais qui ont toutes étayé l’imaginaire géographique et géotechnique de l’endroit.

Vers 1865, Ezra CORNELL mène les administrateurs de la future université qu’il a décidé de fonder à ITHACA, au sommet de la colline de EAST HILL qui domine la ville et le paysage du lac CAYUGA. Tournant le dos au lac, à la ville, il désigne de ses bras grands ouverts le vaste territoire agricole compris entre les deux gorges de FALL CREEK et de CASCADILLA comme celui de la future institution, destinée à croître, affirme-t-il, bien au-delà des quelques bâtiments alors envisagés.

Comme DE WITT dont il est devenu en quelque sorte l’héritier, ce fermier et ingénieur autodidacte opère sur ITHACA un choix géotechnique, en décidant d’installer là une université mixte, land grant, censée associer étroitement aux disciplines académiques traditionnelles les sciences appliquées, l’agriculture et les arts mécaniques.

En 1868, le naturaliste suisse Louis AGASSIZ vient donner une série de conférences à CORNELL. Il est enchanté par le site d’ITHACA qui lui paraît figurer un authentique théâtre des sciences naturelles, et prédit à la nouvelle institution le plus grand avenir dans ce domaine.

Bientôt, une véritable école de glaciologie se développe à CORNELL, et plusieurs expéditions ont eté effectuées au GROENLAND et en ALASKA. Ces voyages scientifiques permettent au géologues d’affiner rétroactivement leur description du paysage d’ITHACA comme une sorte d’hyperpaysage écrit et réécrit par les avancées et les retraits successifs des glaciers du Pléistocène.

Vers 1960, Vladimir NABOKOV quitte CORNELL où il vient d’enseigner pendant près de douze ans, alternant cours sur les littératures russes, européennes et américaines et composition de livres majeurs (Speak Memory, Lolita, Pnin). Cette oeuvre donne au paysage d’ITHACA un rôle troublant en en faisant une sorte de palimpseste de tous les mondes que l’auteur a préalablement traversés au cours de sa longue trajectoire géo-biographique (SAINT-PÉTERSBOURG, CAMBRIDGE, PRAGUE, BERLIN, PARIS, SAINT-NAZAIRE, BOSTON). Pale Fire, le roman à quatre dimensions que NABOKOV commence à l’époque où il quitte CORNELL et qu’il terminera à MONTREUX (dans un site qui est une sorte d’original géographique dont ITHACA serait la maquette), est le monument qu’il dresse à ce palimpseste.

LES MANIFESTES SITUÉS:

En 1968, Oswald Matthias UNGERS, à l’invitation de Colin ROWE qui y enseigne depuis 1962, est nommé directeur de l’ÉCOLE D’ARCHITECTURE DE CORNELL. L’école est alors devenue le laboratoire du contextualisme, c’est-à-dire d’une révision critique de l’héritage du mouvement moderne à partir d’une histoire des modalités d’inscription de l’architecture urbaine. Colin ROWE incarne l’articulation de ces deux orientations majeures (theaters of prophecy/theaters of memory) et la théorise dans les essais qu’il rassemblera dix ans plus tard dans Collage City. L’arrivée d’UNGERS, animé par une visée beaucoup plus rationaliste et prophétique, provoque une scission dans la pédagogie de l’école, qui est bientôt le théâtre d’une guerre, tantôt chaude, tantôt froide, entre les contextualistes et les néorationalistes. C’est dans ce contexte que Rem KOOLHAAS arrive à ITHACA en 1972 et qu’il y entreprend ses recherches sur MANHATTAN. À l’arrière-plan des trois manifestes majeurs que sont Collage City, Berlin, Ville Archipel et Delirious New York, qui paraîtront tous trois en 1978.

LE EARTH ART SHOW:

En janvier et février 1969 a lieu, sur le campus de CORNELL et dans le paysage environnant, le mythique Earth Art Show qui rassemble à ITHACA pour une série d’interventions on-site quelques-unes des figures alors montantes de la scène artistique européenne et américaine.

Célébrée comme un tournant par les historiens du Land Art, cette exposition n’a jamais été analysée en détail pour ce qu’elle est aussi, c’est-à-dire le portrait collectif d’un site. L’oeuvre que développe Robert SMITHSON pour l’occasion (le Cayuga Salt Mine Project) opère un tournant décisif dans son aventure poétique : celui par lequel l’artiste s’arrache de son pôle urbain pour situer désormais ses interventions dans le paysage même.

Au cours de l’automne 1968, Gordon MATTA-CLARK, qui vient de terminer à CORNELL ses études d’architecture, reste à ITHACA pour réaliser, dans les forêts et les gorges qui jouxtent le campus, une série de structures en cordes – passerelles, échelles, tunnels, nids aériens, tapis volants.

Ces interventions, qui témoignent de la confrontation d’un étudiant architecte avec le paysage puissant d’ITHACA, inaugurent une aventure artistique que l’on a trop souvent résumée à une rébellion « anarchitecturale «.

Contre cette interprétation, on peut montrer que les relations de l’oeuvre de MATTA-CLARK avec son prélude architectural sont plus subtiles, et que l’artiste opère un tri à l’intérieur de cet héritage, distinguant de l’opinion de «l’Académie Corbu «, qu’il rejette, une tradition de réflexion sur l’ambiguïté et la transparence qui traverse toute sa propre aventure.

CONCLUSION:

Personnellement je trouve les deux démarches importantes (sur urbanisme et sub urbanisme) car la quasi-totalité des projets d’architecture, de paysage et d’urbanisme procèdent de la confrontation d’un programme et d’un site. On peut dès lors choisir l’une des deux démarche selon l’importance ou la priorité relatives qu’ils accordent à l’un ou à l’autre.

BELATTAR E.

KOOLHAAS, Rem, 1978 : Delirious New York : A retroactive Manifesto, Oxford University Press, NEW YORK.

MAROT, Sebastien, 2008 : Palimpsestuous Ithaca, A Relative Manifesto for Sub-Urbanism, Thèse.

DE WITT, Simeon, 1802 : A map of the State of New York, Albany.

NABOKOV, Vladimir, 1966 : Speak, Memory: An Autobiography Revisited, Everyman’s Library, 1999.

NABOKOV, Vladimir, 1955 : Lolita, PARIS, Olympia Press.

NABOKOV, Vladimir, 1996 : Novels. Lolita. Pnin, Pale Fire, Lolita: A Screenplay, New York , The Library of America, 1996.

NABOKOV, Vladimir, 1962 : Pale Fire, G. P. Putnam’s Sons.

UNGERS, Oswald Matthias, 1978 : Die Stadt in der Stadt, Berlin das grune, Stadtarchipel, 1977, in Lotus International, MILAN, n°19, 1978.

ROWE, Colin; KOETTER, Fred, 1975 : Collage City, in Architectural Review 158, no.942, pp66-90.

SMITHSON, Robert, 1968 : The Sedimentation of the Mind. Earth Projects , in The Writings of Robert Smithson. Essays with Illustrations, NEW YORK, 1979.