BROCCHINI, Ilaria, 2005 : Trace et disparition dans l’oeuvre de Walter Benjamin, Thèse.
Dessins de Paul SCHEEBART
« La trace est l’apparition d’une proximité, aussi loin que puisse être ce qui l’a laissée, l’aura est l’apparition d’un lointain, aussi proche qui puisse être ce qui l’évoque « Le livre des passages, Walter BENJAMIN, 1989.
Nous sommes aujourd’hui obsédés par le désir de laisser des traces. Nos origines, nos identités et nos histoires sont des traces contenues dans ce que nous produisons. L’obsession de laisser des traces s’oppose au besoin d’innovation de la conception architecturale. Dans son œuvre, BENJAMIN a conceptualisé l’existence de certaines traces spécifiques à notre époque et qui sont des traces produites pour évoquer une histoire et non pas les traces laissées par l’histoire.
Au sein de la pensée la trace et l’aura ont une importance égale. La trace est l’apparition d’une proximité. L’aura est l’apparition d’un lointain. La théorie de la trace peut se résumer en une transfiguration de l’environnement humain en images auratiques. L’architecture du XIXe est un domaine privilégié pour l’étude de cette transfiguration.
Habiter signifie laisser des traces. Les traces de l’habitant s’impriment dans l’intérieur. Les objets laissent leurs traces dans les housses et les étuis. BENJAMIN parle alors d’ «homme-étui».
L’architecture évoque l’histoire, les traces laissées par l’histoire, on parle ainsi de traces historiques. Pour BENJAMIN les architectures qui témoignent du processus qui consiste à laisser des traces sont les «Traumhäuser», les maisons de rêves (exemple du magasin Printemps), des «passages, gares, jardins d’hiver, panoramas, usines, cabinets de cires. «
Scène de fantasmagorie, Relief en pierre de la sépulture d’Etienne Gaspard Robertson Boudoir de l’habitation de Gustave Moreau
Passage des Panoramas à Paris Gare du Nord à Paris
Grand Magasin Printemps à Paris Merzbau de Kurt Schwitters
La modernité architecturale est potentiellement porteuse d’un effacement des traces et est interrogatrice de la forme concrète d’une architecture qui sache ne pas être trace. Or même les bâtiments aux architectures modernes peuvent devenir des « traumhäuser «. Deux voies sont alors possibles, la première qui consiste à concevoir l’architecture comme production en effaçant les ornements, l’architecture devient une production industrielles et marchande. On parle alors d’effaceurs de traces. La deuxième laisser des traces…
Les effaceurs de traces sont les architectes du mouvement moderne (BAUHAUS / LE CORBUSIER). L’architecture sans traces devient un produit marchand. BENJAMIN parle aussi de production sérielle (Maison Citrohan). La production industrielle et marchande forge l’environnement humain représentant les traces de synthèses. Les traces de synthèse sont les traces construites au présent et non pas des traces qui nous précéderaient, traces « ultra-moderne «. Les traces de synthèses nous les produisons nous ne les découvrons pas.
Le processus de production architecturale consiste à exploiter les surfaces bâti (MANHATTAN / REM KOOLHAAS). Il s’agit là d’une fonctionnalité du marché sans préoccupation architecturale. La production traduit en trace de synthèse le « traum « (rêve) d’un homme-étui devenu consommateur. Elle lui offre des traces déjà modelées qui l’accompagnent dans le processus collectif de transfiguration du réel.
Au fur et mesure des siècles l’architecture a effacé ses traces pour arriver à produire des villes nouvelles dans lesquelles se sont perdu les rapports naturels à la campagne mais aussi les rapports sociaux. Les villes nouvelles inscrivent clairement dans le terrain la rupture avec le temps historique sur lequel elles sont bâties. Selon Adolf LOOS « la maison n’est pas une œuvre d’art et l’architecture n’est pas un art «.
Je pense qu’avant l’arrivée des effaceurs de traces l’architecture était un art mais qu’il a disparu avec la sérialité, la valeur marchande et la spéculation sur le sol.
BEAULIEU A.
BROCCHINI, Ilaria, 2005 : Trace et disparition dans l’oeuvre de Walter Benjamin, Thèse. |