HUET, Bernard, 1977 : Formalisme – Réalisme, in L’Architecture d’Aujourd’hui 190.

RIGO Martin

HUET, Bernard, 1977 : Formalisme – Réalisme, in L’Architecture d’Aujourd’hui 190.

BERNARD HUET (1932-2001) est un architecte et urbaniste français. Il a enseigné dans de nombreuses écoles étrangères et fut rédacteur en chef de la revue L’ARCHITECTURE D’AUJOURD’HUI de 1974 à 1977.

ELOGE D’UN REALISME SOCIALISTE

Au XIXème siècle, l’architecture est très peu présente dans les débats littéraires sur la question du ” réalisme “. Elle ne devient importante qu’avec la révolution russe et le débat sur l’art révolutionnaire, mobilisant ainsi les intellectuels dès 1917. Mais la complexité du contexte culturel soviétique des années 20 appelle la prudence et empêche d’adhérer à certaines hypothèses simplistes.

Le RÉALISME SOCIALISTE propose une réponse à la question culturelle de la construction du socialisme, et non plus à la période d la révolution. Ainsi le ” PETIT DICTIONNAIRE D’ESTHÉTIQUE ” (MOSCOU 1965) explique le réalisme par ” créer un nouvel humanisme “.

Le RÉALISME SOCIALISTE apparaît comme un procédé artistique qui consiste à refléter de manière véridique, et fidèlement a l’histoire : la réalité dans son développement révolutionnaire.

S’opposant à la “ mort de l’art “, stade atteint lorsque l’art devient une valeur marchande à cause du système capitaliste, le réalisme défend l’importance des valeurs esthétiques ” comme besoin vital de l’homme au même titre que les autres besoins matériels. ”

La théorie du réalisme socialiste nécessite un lien fort entre forme et contenu ; définissant ainsi le ” formalisme “comme toute conception privilégiant l’un au détriment de l’autre.

LES AVATARS DU REALISME

L’application du RÉALISME SOCIALISTE à l’Architecture est lente et problématique. En 1934, on reproche aux constructivistes un fonctionnalisme vulgaire n’intégrant pas de valeurs esthétiques et coupé des réalités historiques, culturelles et nationales. C’est un individualisme qui impose un mode de vie, éloigné des aspirations collectives. Ainsi selon l’expression stalinienne ” l’Architecture socialiste
est socialiste quant au contenu, national quant à la forme. Sa forme nationale s’appuie sur le développement des traditions nationales et non une approche intuitive.

Le RÉALISME SOCIALISTE n’est pas qu’un épisode de l’architecture, il est la seule alternative proposée au ” formalisme ” nés en Occident. Les réticences qui accueillirent les architectes du RÉALISME SOCIALISTES témoignent de l’étroitesse d’esprit des critiques et historiens de la modernité.

Cette architecture offrant un langage compréhensible par tous, facilite l’expression d’un collectif et offre aux architectes un système assurant la cohérence de l’œuvre collective.

DU NEO-REALISME A LA ” TENDANCE

En 1945, les intellectuels italiens engagés dans la résistance se mettent à réaliser l’inventaire de la “ réalité italienne ” pour conjurer vingt ans de mensonges, de ” formalisme ” fascistes.

Ainsi des cinéastes et des écrivains inventent le néo-réalisme, une pensée coupée du monde et non conformiste qui lui permettra d’éviter le dogmatisme de la pensée stalinienne. Les architectes sont séduits par cette vision, en effet déçus par le régime mussolinien qui les a fascinés puis réprimés, ils ont perdu leurs illusions sur les valeurs de l’architecture moderne. Ils voient dans le ” formalisme ” une certaine ambiguïté, leur quête néo-réaliste les conduits donc à s’interroger sur l’histoire, les traditions nationales et populaires, recherchent un mode d’expression conforme aux aspirations collectives et démocratiques du peuple italien.

Ce débat sur le ” réalisme ” est proche des idées du RÉALISME SOCIALISTE, mais dans les années 60, le néo-réalisme, s’écrête son propre formalisme et s’égarera dans les raffinements aristocratiques.

Cette crise du ” langage ” correspond à une crise généralisé qui frappe l’architecture européenne au niveau professionnel et au niveau de l’enseignement. En 1968, deux positions s’affrontent l’une ” contenutiste “, l’autre ” formaliste “.Face à ces positions, des architectes forment la ” tendance ” qui se définit comme ” une alternative critique et opérationnelle “.Elle a pour premier objectif la réévaluation de l’Histoire de l’Architecture comme partie intégrante du travail, en second objectif elle veut reconstruire la ” discipline ” architecturale, ainsi l’architecture trouve sa seule justification dans son ” être “, elle n’est investie d’aucun contenu et ne peut rien exprimer par elle-même.

ELARGISSEMENT DES NOTIONS DE REALISME ET DE FORMALISME

On cherche donc à faire une synthèse autours des principes ” formalisme /réalisme “.

le réalisme n’est pas une affaire de forme ” selon BRECHT, mais l’inverse ne s’applique pas au formalisme…selon BERNARD HUET “ il n’y a pas d’architecture fasciste, ni stalinienne dans la ” forme “, il n’y a que l’architecture de la période fasciste ou stalinienne “.

Il est clair que le ” formalisme “, ce n’est pas produire une forme parfaite à l’usage car c’est le ” métier ” de l’architecte, cet aspect n’est pas propre à un style.

Le formalisme c’est avant tous un geste politique, ” tout système tendant à réduire le réel à un certain nombre de besoins, de normes, de standards, de styles, mène au formalisme “. Ainsi pour exemple : le fascisme est un formalisme car il cherche à esthétiser les rapports sociaux pour masquer les conflits.

Les architectes qui conçoivent comme une simple adéquation à des normes fonctionnelles sans soucis des rapports sociaux […], une architecture réduite à une série d’opération financière, distributive ou constructive est formaliste.

Etre réaliste, c’est prendre la réalité pour la transformer politiquement. Ce n’est pas imposer aux habitants un nouveau mode de vie mais leur offrir les typologies qu’ils attendent,[…]ce n’est pas crée du sens incompréhensible par le plus grand nombre mais se servir du sens commun..

HUET, Bernard, 1977 : Formalisme – Réalisme, in L’Architecture d’Aujourd’hui 190.