Société contemporaine et rapport à l’Art : entre consommation et distinction

TYSSAEN Simon

 

Société contemporaine et rapport à l’Art : entre consommation et distinction

 

1. DÉFINITION DE LA PROBLÉMATIQUE

 

Dans de nombreux écrits, on note une définition de l’espace d’exposition comme un lieu spécifique, notamment dans ceux de Walter BENJAMIN qui réalise une analogie entre les passages parisiens et les musées : tous deux sont des parenthèses, des intérieurs isolés, situés dans une autre temporalité, où l’on peut s’arrêter et s’interroger avec un regard extérieur, plus libre. Les espaces muséographiques semblent donc porter les visiteurs dans un autre monde, coupé de la réalité quotidienne, où ils peuvent entretenir avec l’oeuvre d’Art un rapport intime, personnel et unique. Au début du XXème siècle, Paul VALÉRY, avait lui aussi souligné l’importance du caractère « délicieux » attendu dans le rapport sujet/œuvre d’Art. Il avait également mis en avant le paradoxe situé entre cet élément et les fonctions de conservation et d’éducation des musées.

 

Dans ce même texte, le problème des musées, on retrouve également l’importance du rapport à l’objet caractéristique de notre société contemporaine, basée sur l’image et la consommation de masse (encore plus de nos jours qu’au début du XXème siècle). A notre époque, tous les objets sont considérés comme des produits consommables, tout est mis en vitrine. Tout doit être montré, ce qui provoque souvent, dans le cadre des musées, une perte de la qualité du message et donc une difficulté pour le visiteur de capter le sens profond d’une œuvre.

 

Apparaît donc une dualité entre une société contemporaine, d’images, de transparence, de superficialité, et la monstration de l’Art, qui doit conserver le sens des œuvres et le lien particulier qu’elles peuvent tisser avec les visiteurs. Faut-il exposer dans une logique contemporaine, c’est-à-dire en dévoilant toutes les œuvres, tout ce qui les concerne, à la manière d’une vitrine marchande ? L’Art contemporain mis en relation avec la société contemporaine. Ou, faut-il conserver des lieux d’exposition particuliers, permettant l’éloignement du sujet vis-à-vis de l’extérieur et sa concentration sur l’oeuvre et son message ?

 

Mon travail consistera donc à étudier ce paradoxe entre une société contemporaine de consommation et une nécessité pour l’Art d’entretenir avec le sujet une relation particulière, indispensable à sa compréhension. Comment réaliser un projet contemporain, répondant aux attentes actuelles en terme de fonctionnalité ou d’esthétique, tout en se pliant aux exigences de distinction de l’Art ? On s’aperçoit déjà de la complexité induite par ce type de programme, et donc que chaque réalisation vient entretenir un débat continu sur le rapport Art/Architecture et musée.

 

2. HISTOIRE DES MUSÉES :

 

2.1. DE L’ORIGINE À NOS JOURS :

 

Désir de collection et volonté de transmission du savoir existent depuis l’antiquité. PLINE l’ancien et VITRUVE évoquaient déjà dans leurs écrits l’idée de lieux destinés à la présentation de collections. Toutefois, les premiers musées publics apparaissent au XVIIIème siècle : en Italie, on retrouve la galerie des statues antiques créée par SIXTE IV ou LA COLLECTION DES MÉDICIS dans la GALERIE DES OFFICES ; à LONDRES, le BRITISH MUSEUMLE LOUVRE accueille de nouvelles fonctions (MUSÉUM CENTRAL DES ARTS en 1792) qui confirment sa vocation.
est inauguré en 1759 et peu après, en 1764 à SAINT-PÉTERSBOURG, est fondé le musée de l’Ermitage.

Mais, c’est surtout au XIXème siècle qu’une véritable réflexion sur les musées débutera : Etienne Louis BOULLÉE et Jean Nicolas Louis DURAND inventent des typologies muséales, utilisant les galeries ou patios, portant ainsi une grande attention à la lumière, mais présentant une esthétique antique. Ces pensées seront mise en œuvre à travers différents projets : l’ALTES MUSEUM de BERLIN et la GLYPTOTHÈQUE de MUNICH sont les premiers édifices construits spécifiquement pour abriter la fonction de musée. Dans de nombreux autres pays, les collections investissent des édifices anciens, assimilant ainsi l’Art à une architecture dominante, intimidante (les palais des beaux-arts en France, l’île des musées à BERLIN). La distinction entre intérieur et extérieur est marquée par les frontons et portiques.

 

L’apparition des nouvelles techniques de constructions, structures acier ou béton, permet l’ouverture à une nouvelle architecture muséale, tournée vers l’espace et la lumière. Il faudra attendre la fin du XIXème siècle, avec la construction du MÉTROPOLITAIN MUSEUM OF ART et l’AMÉRICAN MUSEUM OF ART de NEW YORK pour voir, outre Atlantique, des équipements du niveau européen.

 

Le XXème siècle sera celui du musée, un programme auquel de nombreux architectes et théoriciens vont réfléchir et proposer des lieux d’exposition très variés. Auguste PERRET et LE CORBUSIER inventent respectivement, dans les années 1930, un « musée moderne » séparant les lieux d’exposition pour les visiteurs et ceux pour les spécialistes, et un musée-promenade, que le visiteur parcourt du centre vers l’extérieur en empruntant une rampe. Ce principe sera repris par la suite par Frank Lloyd WRIGHT dans son GUGGENHEIM MUSEUM de NEW YORK. La notion de façade est abolie, l’extérieur est oublié et une attention particulière est portée sur les ambiances proposées aux œuvres et aux visiteurs. Dans les années 1950, Carlo SCARPA contribuera fortement à la réflexion sur la muséographie, à travers le travail de la lumière et de la matière qu’il effectuera, notamment pour son œuvre majeure, le CASTELVECCHIO de VÉRONE. La seconde moitié du siècle verra elle aussi la réalisation ou la pensée de nouveaux types d’espaces muséaux : la GALERIE NATIONALE de BERLIN de Mies van der ROHE et le CENTRE POMPIDOU de ROGERS et PIANO ne sont que deux exemples de tous les projets qui ont fait avancer le débat au cours des années (espaces libres ou fragmentés, rapport à l’extérieur…).

 

L’importance du musée, en tant que contenant, est soulignée par l’investissement de lieux chargés d’histoire : après les palais et les couvents, ils détournent des bâtiments liés à la mémoire sociale et industrielle, à l’histoire même des villes et des modes de vie qui évoluent (exemple de la piscine-musée de Jean-Paul PHILIPPON à ROUBAIX). Le musée devient fédérateur en terme d’urbanisme : installé dans les monuments structurant le cœur des villes, il profite d’une situation centrale pour devenir le moteur d’un quartier voué à la culture, comme c’est le cas à BERLIN, avec l’île des musées, ou à VALENCE en ESPAGNE, autour du nouveau musée des sciences. Le rôle urbain pouvant être exercé par ce type de programme a été à nouveau mis en évidence, vingt ans après le Centre Pompidou, par l’extraordinaire sculpture de titane réalisée à BILBAO. L’architecture spectaculaire dessinée par Frank GEHRY a permis de réveiller, par le biais d’un dynamisme culturel, toute une région industrielle sinistrée.

 

Face à ces projets événementiels, désireux d’attirer un public le plus large possible (on peut également citer le KUNSTHAUS de GRAZ réalisé par FUTURE SYSTEM), on observe aussi l’existence de projets plus sobres en écriture, mais tout autant attractifs. La FONDATION BAYELER de Renzo PIANO et les musées de Tadao ANDO en sont des exemples, brillant par les relations qu’ils mettent en place entre sujet et objet et aux ambiances qu’ils offrent aux œuvres.

 

La réflexion sur les musées, sur le rapport Art/Architecture, est loin d’être close : tous les points de vue sont actuellement représentés sur la scène architecturale internationale, les stars de la profession exposant tour à tour leurs idées, dans des projets tous singuliers, souvent considérés comme leur chef-d’oeuvre.

 

2.2. DYNAMIQUE ACTUELLE :

 

Depuis les années 1960, les gouvernements ainsi que les disciplines artistiques ont contribué à favoriser la communication, l’ouverture vers un large public, socialement élargi. Les musées sont devenus des pôles attractifs, des lieux d’échange et d’information, qui doivent être le plus ouvert possible. Dans de nombreux cas, le taux de fréquentation est devenu l’élément prépondérant, reléguant au second plan les missions originelles du musée : collection, conservation, étude, exposition, éducation, délectation. Un devoir de séduction induit par la société dans laquelle nous évoluons et qui justifie les projets « météorites » que l’on a vu émerger à la fin du XXème siècle.

 

Cette attractivité recherchée, cette volonté de rendre les nouveautés artistiques accessibles à tous, se traduit également par l’organisation de grandes manifestations internationales, telles que la BIENNALE DE VENISE, La DOCUMENTA de CASSEL, ou encore l’exposition intitulée « A new spirit in painting ». Un élan vers le public, se traduisant autant à travers les manifestations réalisées que par l’architecture des lieux d’exposition, et qui est à prendre en compte dans la conception d’un centre d’Art, dont la vocation première est bien de communiquer les créations artistiques au plus grand nombre.

 

3. LA SOCIÉTÉ CONTEMPORAINE :

 

TOUS LES OBJETS SONT DES PRODUITS CONSOMMABLES…

 

3.1. LA VILLE CONTEMPORAINE :

 

L’Art est un concept social : dans la société moderne, il n’existe que parce qu’il est vu, cette monstration étant ce qui le définit comme « art ». Il est donc lié par essence au monde qui le produit et dans lequel il possède sens. Il parait donc évident d’analyser quelques peu les fondements de notre société afin de comprendre les relations que celle-ci entretient non seulement avec l’Art, mais aussi avec les musées, qui, nous l’avons précisé ci-dessus, sont des objets phares de notre époque.

 

Dans le chapitre intitulé Aéroports, extrait de l’ouvrage Supermodernisme de Hans IBELINGS, on retrouve l’idée que le musée est un élément programmatique fort de notre temps, au même titre que les aéroports. La description de ces lieux caractéristiques par l’auteur est tout à fait intéressante, et nous en reparlerons plus tard, mais elle nous présente également l’urbanisme contemporain : l’hétéropolis, pour reprendre le terme de Charles JENCKS, ou l’étalement des régions urbanisées. La ville contemporaine est en effet dispersée sur un territoire de plus en plus vaste, organisé suivant une hiérarchie d’axes, autour desquels s’agglomèrent tous les équipements. La ville se développe, à l’image des nouvelles technologies, sous la forme de réseaux et va donc induire une particularité de l’architecture. En effet, on vit

 

Actuellement dans un monde d’« évènements », hétérogène et diffus, où les objets bâtis n’existent que dans leur rapport aux autres. La dispersion aléatoire de projets « météorites » ne s’explique donc plus que par une volonté de communication mais aussi par un urbanisme contemporain épars obligeant tout projet à se faire voir pour exister. Le développement exponentiel des zones urbanisées se fait actuellement le long des voies de communication : elles sont devenues les colonnes vertébrales, les centres étirés des agglomérations, suivant le développement continu des technologies et l’usage quasi systématique de l’automobile.

 

Antoine PICON, dans son ouvrage « La ville territoire des cyborgs » établit le même constat, d’une ville peuplée d’événements ainsi que de la perte de différenciation entre réalité et artifice (la technique devenant de plus en plus omniprésente). Il rajoute que les points stratégiques de cette nouvelle ville, ne sont plus les cœurs de cité mais les interfaces entre différents flux.

 

La ville contemporaine peut donc se décrire comme hétérogène, diffuse, les individus n’entretenant plus avec leur environnement bâti qu’un rapport de superficialité. Une société du réseau, du mouvement, où tout élément doit être singulier pour exister. Ce constat sous-tend un rapport à l’objet qui sera également superficiel.

 

3.2. HÉTÉROGÉNÉITÉ, IMAGE ET CONSOMMATION :

 

La ville d’aujourd’hui correspond au développement de notre société, parallèlement à celui des technologies. Henri-Pierre JEUDY, citant l’exposition « Mutations » ayant eu lieu à BORDEAUX entre 2000 et 2001, nous dresse le tableau d’une société basée sur l’image, distillée en abondance.

 

« Au contraire, l’exposition de la ville, les manières de la penser, de la représenter se cristallisent autour de l’image »

 

Henri-Pierre JEUDY.

 

Dans son texte, H.P. JEUDY nous explique comment la plupart des villes du monde se ressemblent par la perception que l’on en a. Les techniques existantes aujourd’hui permettent la création et la diffusion en masse d’images. Le mode de communication le plus utilisé aujourd’hui est l’image, conduisant ainsi à la mise en place d’une culture visuelle globale et homogène. Marc BARANI, dans son article intitulé « Au-delà du visuel » évoque également l’importance de l’image dans notre culture.

 

Ce que nous retrouvons dans les formes architecturales actuelles et dans cette utilisation excessive de l’image c’est un rapport à l’objet extrêmement pauvre, sommaire, celui-ci étant toujours considéré comme un produit consommable, reproductible à l’infini, et sans valeur particulière, mise à part sa valeur marchande. La volonté de communication, de captation du public engendre la généralisation d’une architecture légère, transparente, offrant délibérément ses espaces internes aux passants. Une architecture de grand magasin, de vitrine, pour une société basée sur la consommation de masse, amenant le rapport sujet/objet à une unique relation de consommateur/produit.

 

Le monde contemporain, établi le long des corridors de communication, produit l’émergence d’un urbanisme épars, hétérogène, favorisant ainsi l’édification d’objets singuliers, qui doivent se différencier pour exister.

 

Pour être réalisées, les fonctions urbaines et de communication nécessitent donc l’entrée des musées dans ce système de marketing. On demande donc aux musées de séduire le consommateur pour l’attirer. Mais comment permettre ensuite la possibilité d’une autre relation entre l’oeuvre et le visiteur, plus délicieuse que rassasiante.

 

« Le musée comme espace pour des produits, ou comme lieu pour des oeuvres ? Sans aucun doute, le musée est un lieu dédié aux œuvres… »

 

Roland MATTHU.

 

4. LE MUSÉE COMME INTERFACE ENTRE VILLE ET OEUVRES

 

4.1. LE RAPPORT VILLE/MUSÉE :

 

Depuis une vingtaine d’années, les musées se multiplient dans le monde, devenant des éléments moteur pour de nombreuses villes. Cette multiplication des programmes muséaux n’est pas uniquement issue de la volonté d’ouvrir le monde de l’Art à un public de plus en plus large, mais elle permet, dans différentes situations, de redonner un dynamisme culturel et social, de l’échelle du quartier à celle de la région. Les musées sont en effet devenus des équipements majeurs dans la stratégie des villes que ce soit sur le plan urbanistique, afin d’articuler ou de fédérer un nouveau quartier, ou par volonté de communication, d’image, d’attractivité. Ils n’abritent plus uniquement leurs fonctions premières (collection, conservation, exposition, délectation), mais offrent aux visiteurs la possibilité de réaliser leurs achats, de se nourrir, ou de se divertir. A la manière d’un centre commercial, ils regroupent différentes activités, toujours dans le but de proposer des services variés et donc de capter un maximum de « clients ». Cette agglomération de fonctions est caractéristique de notre époque.

 

Un paradoxe plane au-dessus des musées, qui se voient divisés entre un désir d’être en phase avec leur époque, pour attirer de nombreux visiteurs et, leurs perspectives de conservation et d’études à long terme.

 

« Tenté d’échapper à ses murs pour conquérir la ville et tirer parti de sa vitalité, le musée est un vecteur de dynamisme pour une ville ou une région.»

 

Christine DESMOULINS.

 

Les villes placent donc de nombreuses attentes dans les musées, souvent peu en relation avec la qualité des muséographies proposées ou de pertinence des expositions organisées. Mais il est fondamental de peser le poids d’un tel programme : moteur d’une ville ou d’une région (exemple du GUGGENHEIM de Frank GEHRY à BILBAO), son architecture se doit d’être communicative, et étant l’interface la plus importante entre le public et le monde de l’Art contemporain, il doit permettre une mise en relation correcte entre œuvres et public.

 

4.2. LE RAPPORT MUSÉE/ŒUVRES :

 

La relation que nous entretenons avec l’Art dépend donc de notre environnement sociétal, et de la place faite aux lieux d’exposition dans la ville. Mais l’interaction qui peut émerger de la rencontre avec une œuvre d’Art est la conséquence première de telle ou telle conception des espaces muséographiques.

 

« La véritable destination du musée, à ce qui est sa raison d’être : présenter les œuvres, au sens de les rendre présentes, soit comme sujets de contemplation, soit comme témoins de l’histoire. »

 

Roland MATTHU

 

La fonction première du musée est, en effet, la présentation des œuvres, et non uniquement leur conservation et leur stockage. Le centre d’Art, par l’intermédiaire des salles d’exposition qu’il propose au conservateur pour organiser ses manifestations, joue un rôle prépondérant dans la mise en situation favorable, ou pas, d’une réalisation d’artiste. Le débat des conservateurs, architectes ou théoriciens, sur le rapport entre Art et Architecture
est en permanence d’actualité. Certains prônent la mise en place de volumes le plus neutre possible, alors que d’autres préconisent de bâtir l’espace en fonction de l’objet qu’il va contenir. Cette dernière solution est d’ailleurs difficilement applicable dans le cas d’un centre d’Art car, aucune œuvre n’est réellement permanente.

Dans de nombreux écrits, tels que le chapitre « Œuvre et lieu » de Roland MATTHU, ou encore le texte de Jean-Louis DEOTTE intitulé « Les deux temporalités », les espaces muséaux sont décrits comme des lieux singuliers, hors du temps, présentant les œuvres comme des objets de contemplation, et permettant au visiteur de s’arrêter et de se concentrer sur une œuvre et son sens. La nécessité de scission entre les espaces muséaux et l’extérieur, la ville, est exprimée à de nombreuses reprises. Le musée semble donc être l’interface permettant d’accéder au monde des œuvres depuis la ville.

 

Un objet est œuvre d’Art par sa présentation au musée. C’est la reconnaissance de l’institution qui permet la monstration de l’œuvre et donc son existence ainsi que celle de son message. Un objet de la vie quotidienne, comme un aspirateur pour reprendre l’exemple énoncé par Damien WATTEYNE dans son intervention « Surface d’exposition ou espace d’expression », peut devenir objet d’Art uniquement par sa disposition par le conservateur dans un espace muséal. Même si des artistes, comme le GROUPE DUNES avec l’installation « vous êtes ici » sur les toits de MARSEILLE, revendiquent la liberté de l’Art et donc la possibilité d’exposer partout, il est impossible de concevoir le monde de l’Art sans l’institution musée. Le message de leur installation était spécifiquement de réfléchir au lieu d’exposition. S’il avait été autre, leur site d’implantation aurait été inadapté.

 

« Ce que le musée permet à l’Art, la rue lui refuse »

 

Daniel BUREN.

 

Le musée est donc nécessaire au monde de l’Art. Sans musée, il n’y a pas d’oeuvre d’Art, car cette dernière existe par se reconnaissance, par la diffusion de son message, dépendant du musée. L’oeuvre et le musée ont besoin l’un de l’autre.

 

4.3. LE « PASSAGE » :

 

Les espaces muséographiques sont donc présentés dans de nombreux écrits comme des lieux singuliers, comme des parenthèses isolant un élément donnant du sens au contexte. Paul VALÉRY nous décrivait déjà le nécessaire caractère délicieux que doit présenter un lieu de présentation d’oeuvre. Un lieu exceptionnel, hors de la ville, permettant la concentration du visiteur et un possible regard objectif.

 

Jean Louis DEOTTE, en nous présentant le travail de Walter BENJAMIN, introduit le terme de « passage ». Son étude concernant les passages, aussi bien architecturaux que littéraires, met en évidence leur caractère particulier, leur position d’entre-deux. Apparaît ici le lien étroit existant entre intérieur et extérieur, entre espace muséal et espace public, entre œuvre et société. Le musée doit être un lieu à part, coupé de la réalité de la ville, de la société, permettant ainsi la concentration du sujet sur l’oeuvre, et la possibilité pour celle-ci d’exprimer un message objectif, isolé des « pollutions » du monde extérieur. Mais en même temps, il appartient à cette société. On retrouve le paradoxe à l’origine de ce travail : une nécessité pour les œuvres de distinction alors qu’elles sont issues d’une société de consommation de masse.

 

Dans l’autre chapitre de Jean Louis DEOTTE présenté précédemment, « Les deux temporalités », l’espace muséographique nous est également décrit comme un aparté : ici, la distinction entre œuvres et ville se fait sur un plan temporel. La première temporalité est causale, elle correspond à une pensée linéaire de l’histoire de l’Art, alors que la seconde est celle de l’événementiel, de la rupture du continuum, permettant l’émission d’un message concernant le passé ou le futur. Un arrêt, une pause, mettant le visiteur hors contexte et lui offrant ainsi la possibilité d’opérer un regard critique, plus objectif. Cette deuxième temporalité, nécessaire à l’expression de l’oeuvre, est aussi soulignée dans l’intervention de Damien WATTEYNE, « Surface d’exposition ou espace d’expression ».

 

« Pour aboutir au musée, pour être muséalisé, l’objet a été transporté dans l’espace mais aussi et souvent dans le temps. »

 

Damien WATTEYNE.

 

Ces dernières années, avec les possibilités offertes par la technologie, des artistes ont travaillé sur la perte de repères du spectateur. Le groupe d’artistes japonais DUMB TYPE a réalisé des installations plaçant les visiteurs « cobayes » dans des conditions de perte totale de référents extérieurs par la mise en place d’effets techniques, sonores et d’illusions d’optiques. Cette expérience a démontré que, une fois le contexte oublié, la focalisation du sujet sur l’objet pouvait être meilleure. L’architecture du musée doit donc en faire un lieu spécifique, pas nécessairement virtuel, mais en tout cas disposant le visiteur dans un lieu particulier, voué à la muséographie et « extérieur » à la ville.

 

5. CONCLUSION :

 

Les musées sont donc les projets phares de notre époque : ils représentent un véritable enjeu urbain, car capables de redynamiser toute une région ou de créer des articulations entre différents espaces urbanisés. Ils sont également l’occasion pour les plus grands architectes d’exprimer leur pensée dans le débat continu, depuis des siècles, sur le rapport Art/Architecture. Enfin, ils témoignent des relations qu’une société entretient avec l’Art.

 

La société contemporaine, basée sur l’image, les réseaux et la consommation de masse, semble inadaptée à l’établissement d’échanges entre Art et citoyen, car ce dernier considère tous les objets comme des produits consommables, alors que nous avons démontré que le contact à l’oeuvre doit être de l’ordre de la délectation.

 

A l’échelle de la ville, le musée, comme on le conçoit actuellement, en tant que pôle urbain attractif, semble pouvoir correspondre à la société contemporaine : de nombreux projets « météorites », largement diffusés, remplissent sans problème leur mission de communication. Toutefois, lorsque l’on s’approche, et qu’il faut apporter à l’Art des qualités d’ambiances, de matières, de lumière et d’isolement vis-à-vis de l’extérieur, la tâche à accomplir semble soudainement plus complexe. Comment exposer des œuvres contemporaines, donc par essence en lien avec la société, alors que celle-ci ne semble concevoir les objets que comme des produits ?

 

La réponse que je donnerais s’inspire d’une phrase de Jean Louis DEOTTE, dans son texte intitulé « Une architecture d’intérieur » :

 

« Les musées, comme les passages sont des architectures sans façades, sans extérieur. Une enveloppe sans extériorité, qui peut donc être redoublée, comme au Musée de Genève, par Buren. L’enveloppe ajoutée au pseudo-temple du musée, est coupée pour laisser voir ce dont il s’agit : une autre enveloppe, le musée lui-même. Cela ne lui porte pas dommages. »

 

L’Architecture semble être l’interface, la membrane, le lien entre le monde extérieur, superficiel, et celui de l’espace muséal, de contemplation et de réflexion. Une réflexion qui peut se prendre dans les deux sens : au premier, il s’agit d’une réflexion intellectuelle sur le message placé dans l’oeuvre par l’artiste mais surtout par le conservateur, et dans un deuxième temps, il s’agit du reflet, l’exposition devenant le miroir de la société, un possible regard extérieur, objectif sur le monde dans lequel on vit.