Stalker – Laboratoire d’Art Urbain – ROME – 1995.

COQUART Jordane

Stalker – Laboratoire d’Art Urbain – Rome – 1995.

La zone est peut-être un système très complexe de pièges… je ne sais pas ce qui s’y passe en l’absence de l’homme, mais à peine arrive quelqu’un que tout se met en branle… la zone est exactement comme nous l’avons crée nous-mêmes, comme notre état d’âme… je ne sais pas ce qui se passe, ça ne dépend pas de la zone, ça dépend de nous.” (Stalker d’A. Tarkovski, 1979)

Le groupe Stalker, basé a Rome est une microsociété ouverte. Ce laboratoire dont la composition varie entre 5 et 20 personnes en fonction des projets à réaliser. Chacun apporte sa propre habileté (architecture, anthropologie, vidéo, etc…). Le laboratoire concentre son activité sur un ensemble de déambulations généralement accomplies dans des terrains vague, des zones intermédiaires et indécidables situées entre ville et campagne, des entre deux tels que les métropoles contemporaines les engendrent (Milan, Rome, Turin, Paris, Miami, Berlin). Autant d’espaces, « amnésie urbaines » en état de disponibilité, dont l’identité est comme en suspens, dans l’attente d’une définition qui pourrait leur être imposée par quelque autorité en place, et dont la signification est, pour l’heure, polysémique.

Le nom du collectif vient du film homonyme d’Andreï Tarkovski dans lequel un passeur –un Stalker– conduit deux personnes d’une ville habitée vers un territoire abandonné à l’accès interdit (La Zone). Là se trouve une chambre dans laquelle tous les désirs peuvent se réaliser. Mais ce sont avant tout l’errance et le doute qui attendent ou qui accueillent ceux qui s’abandonnent à cette traversée. Au-delà de la référence métaphorique, la marche, le déplacement, est, pour Stalker une œuvre collective qui s’expose à un événement lui aussi pluriel. Événement constitué par un espace dont la disponibilité l’ouvre à quantité d’avenirs possibles. En cela, les agissements de Stalker s’inscrivent dans les théories de la dérive établie par Gui Debord. L’outil utilisé étant la marche et l’arpentage de territoires.

On pourrait citer pour exemple une marche de 70km accomplie pendant quatre jours (5-8 octobre 1995) dans un périmètre autour de Rome, a la suite de laquelle, une carte, le Planisfero Roma a était réalisée ainsi que des photos de franchissements de limites ou de « barrières moments » jugés décisifs par Stalker. Sur le planisphère sont indiquées en pointillés blancs le parcours suivi par le groupe, en bleu les espaces mutants (ce que Stalker qualifie de mer), en jaune la ville formatée, le tout proposant une constellation d’archipels. La carte ainsi produite ne saurait correspondre à une géographie prétendument reconnue qu’elle représenterait. Elle est au contraire une façon de construire la topographie d’une ville inconsciente et néanmoins active dans la ville supposée connue, une ville redécouverte assimilable à un territoire acentré, aux potentiels multiples.

Il s’agit donc, pour les arpenteurs du laboratoire Stalker, de construire leur propre fluidité en d’abandonnant aux devenir à l’œuvre dans le territoire, de se déplacer. Les rythmes de la déambulation, la marche et ce qu’elle implique elle-même, le corps en circulation, sont des moyens importants de désobjectivation du décor urbain, de transformation de la ville en une expérience vécue plutôt qu’en un objet, en un spectacle contemplé ou subi. Cette approche est l’exacte héritière de la dérive situationniste et de son projet de mise en mouvement du contexte urbain.

www.stalkerlab.it

COLLECTIF, 2000 : Les Figures de la marche, un siècle d’arpenteurs de Rodin à Neuman – Exposition, Antibes, Musée Picasso (1er juillet 2000-14 janvier 2001), Réunion des musées nationaux .

TARKOVSKI, Andrei, 1979 : Stalker, film de 163min.

INTERPLAY, 1997 : Fallout, jeux vidéo.

DEBORD, Guy, 1956 : Théorie de la dérive , in Les Lèvres nues n° 9, décembre 1956 et in Internationale Situationniste n° 2, décembre 1958.

DAVILA, Thierry, 2002 : Marcher, Créer. Déplacements, flâneries, dérives dans l’art de la fin du XXème siècle , Paris : Editions du Regard .