LIBESKIND, Daniel, 1991 : Beetween the lines, in Architecture in transition, Éditions PRESTEL , p63.

COQUART Jordane

LIBESKIND, Daniel, 1991 : Beetween the lines, in Architecture in transition, Éditions PRESTEL , p63.

« Qu’est-ce qu’une architecture qui n’est pas rationaliste ? »

Il est difficile de contredire LE CORBUSIER dans la violence de sa réponse, en effet, s’il est bien une qualité que l’on est en droit d’attendre d’une architecture c’est qu’elle soit utilisable.

VITRUVE décrivait d’ailleurs l’architecture comme l’art d’établir une combinaison harmonieuse et équilibrée de trois principes : Venustas (beauté), firmitas (solidité) et enfin, Utilitas, l’utilité …. Que pensé alors, du musée juif de Libeskind dans lequelle il est quasiment impossible d’exposer quoi que ce soit ? Resté vide pendant plus de trois mois, c’est suite à un réaménagement que l’on a enfin pu y disposer la collection d’objet initialement prévu : des objets du quotidien ayant appartenus à des juifs déportés. Malgré la piètre qualité de l’exposition, le musée laisse une forte impression. Ici, plus encore que les œuvres exposés, c’est le bâtiment qui est porteur de sens. LIBESKIND pose son œuvre comme complément de l’opéra inachevé Moses & Aaron de SCHOENBERG. C’est sur les lignes vides de la partition de cette pièce dodécaphoniste que l’architecte rédigera le texte de sa proposition : Between the lines.

Le bâtiment, en tant qu’extension, ne possède pas d’entrée indépendante de celle du musée de la ville de BERLIN (un édifice baroque, le Collegienhaus). L’accès se fait par un passage souterrain reliant les deux. Il n’est pas visible de l’extérieur. Le bâtiment se pose comme une inquiétante masse impénétrable à la peau déchirée. Le parcours débute par une descente abyssale qui mène le visiteur au niveau souterrain où s’offre à lui trois possibilitées de cheminements, selon trois axes d’orientations : l’Exil, l’Holocauste et la Continuité. Le premier axe nous mène vers le Jardin de l’exil. Le visiteur est amené a déambuler dans ce jardin suspendu sur 49 piliers de béton, image du déracinement. Exile comme perte de repère ; tout dans ce labyrinthe est orthogonal, néanmoins, l’architecte a incliné le socle de 10° selon sa diagonal. On change d’inclinaison à chaque changement d’orientation. Le corps s’en trouve déstabilisé jusqu’au malaise. « Le jardin est une impasse. L’échappé a l’air libre est une illusion, l’exile est un enfermement ». Le deuxième axe conduit à la Tour de l’Holocauste. Le visiteur est invité à franchir la lourde porte, et découvre le lieu : Une Tour de vingt-sept mètres de haut, aux angles agressifs, un espace froid et sombre dans lequel la lumière ne pénètre que péniblement par une étroite ouverture. Il s’agit ici d’une appréhension sans équivoque de la fin, d’une « absence totale de retour ». Seul le chemin de la Continuité permet d’accéder aux étages supérieurs. C’est après l’expérience de ce magistral escalier que le visiteur entre dans les collections…

C’est a travers ce genre d’expérience architecturale que LIBESKIND explore les questions d’absence et de vide qui seul ici témoignent, par leurs imposante présence, de l’horreur de la SHOAH. Ce n’est donc pas un simple bâtiment que LIBESKIND a livré ici, ni même un monument mais, en prenant le parti de ne rien documenter, de ne rien représenter, c’est un contre-monument que l’architecte a réalisé : Alors qu’il n’a aucune information à sa portée, le visiteur, devenu spectateur, participe à une expérience qui le confronte à ce que sa propre mémoire lui propose, en opposition à une mémoire collective trop souvent imposée. Ici plus que jamais, la limite en art et architecture est flou.

L’abstraction totale utilisée par LIBESKIND aura donc des effets qui dépendront essentiellement du spectateur, de son propre rapport au sujet, et l’on pourrait reprocher parfois le manque de lisibilité de certain élément. SCHOENBERG (sur la partition de qui LIBESKIND à rédiger Beetwen the line) répondrait certainement ainsi a cette remarque : « Si c’est de l’art, ce n’est pas pour tout le monde. Si c’est pour tout le monde, ce n’est pas de l’art. »

C’est en ce sens que la question de la frontière entre art et architecture est intéressante. En effet, si en général le spectateur choisie de se confronter à une œuvre d’art ou pas, l’architecture est bien souvent imposé à ceux qui l’utilise et se doit donc d’être accessible à tous.

LIBESKIND, Daniel, 1991 : Beetween the lines, in Architecture in transition, Éditions PRESTEL , p63.

VON MAUR, Karin; FLECK, Robert; NITSCH, Hermann; LIBESKIND, Daniel ; BREICHA Otto; MEYER, Christian; ZEHENTREITER, Ferdinand; SCHOENBERG NONO, Nuria, 2002: The Visions of Arnold Schonberg, Éditions HATJE CANTZ PUBLISHERS, 272p.

LIBESKIND, Daniel, 1993-1998 : Le musée juif de BERLIN.

http://skildy.blog.lemonde.fr/2007/03/05/le-musee-juif-de-berlin-de-daniel-libeskind-une-etude-de-jerome-charel-et-julien-mortet/

http://www.daniel-libeskind.com/

LIBESKIND, Daniel, 1978 : Micromegas, CORTLAND MUSEUM, CORTLAND, NEW YORK, USA.