DANTEC, Maurice G. (2003) : Villa Vortex, Éditions Gallimard, Collection La Noire.

Maurice G DANTEC est né en 1959 à Grenoble, il est naturalisé canadien et se défini comme « un écrivain nord-américain de la langue française ». Il a été l’élève de Gilles DELEUZE et fonde en 1998 avec Richard Pinhas, le duo de musique expérimentale Schizotrope en hommage à ce dernier.

SYNTHESE

« L’an 2000 aurait dû être la Fin des temps … Finalement il n’en est rien.

Le 11 Septembre 2001 sera le Dernier Jour du Monde tel que nous l’avions connu.

Quatre sites. Quatre cavaliers venus du ciel.

Le Monde d’ici-bas avait trouvé son régime de croisière : la destruction généralisée enclosait l’homme dans l’éternel recommencement du même, la mort, d’infinie différence, était devenue la finitude équivalente qui se refermait sur Porbicule où l’homme avait décidé de s’éteindre ».

Le narrateur, KERNAL, jeune flic de la banlieue PARISienne nous fait revivre les dix dernières années avant sa mort. Le 11 Septembre 2001 à midi, KERNAL explose dans son bureau de banlieue, victime lui aussi d’un attentat. Avant son décès il raconte :

Les dossiers criminels dont j’avais, ou avais eu la charge, recoupaient en partie cette ligne de fuite vers la catastrophe, ma vie personnelle n’était plus à l’évidence que le prolégomène à un effondrement plus général, j’en avais pris conscience peu à peu, lors de mon lent éveil à ce monde qui venait de naître. Ces chemises de carton, je les contemplais bien moins comme les ruines d’une vie à moitié ratée, semblables en cela à toutes les autres, que comme la promesse d’un avenir déjà ruiné par l’ensemble de nos actions. Dix ans, c’était à la fois largement suffisant pour comprendre qu’on pouvait en savoir beaucoup trop, et pas assez pour pleinement assimiler à quel point on n’apprenait jamais rien.

Au fil des pages, nous partageons sa vie depuis son entrée dans la police en 1991 alors qu’il est témoin des grands événements internationaux. KERNAL plante le décor et nous fait découvrir la Préfecture de Police en 2001, son collègue MAZARIN raciste misogyne et violent.

Il décrit les rouages de la bureaucratie et s’identifie comme rouage de la Machine, de la Préfecture de CRÉTEIL, flic de la France républicaine de la « fin des temps ».

Il revient ensuite sur l’année 1991 et l’assassinat d’une jeune fille dans une centrale à charbon désaffectée, la « centrale Arrighi” près de VITRY.

L’enquête révèle un crime odieux : les organes ont été remplacés par des électro mécanismes

Puis, KERNAL nous ramène quelques années en arrière lors de sa rencontre en 1989 avec Milena et Maroussia en HONGRIE. Avec elles il assistera à la Chute du Mur de BERLIN, Porte de BRANDEBOURG.

Lors de ses digressions autour du crime, il repart sur les plages du Débarquement (le D day) pour mieux comprendre la guerre en IRAK (la Guerre du Désert).

Il nous fait découvrir la centrale EDF voisine de la scène de crime, ses ouvriers et RUNGIS.

Il rencontre NITZOS, caméraman sur le site, chargé de filmer la destruction de la « Centrale Arrighi » : ce dernier sera d’abord suspecté par KERNAL puis deviendra pendant les premiers mois d’enquête presque intime.

Ils sont tous deux photographes, pro ou amateur et ancien rockeur pro ou amateur:

Nous partagions cette maladie de l’œil, cette nécrose du regard qui faisait de nous des enregistreurs de la vie

Il découvrira avec lui les nouvelles techniques vidéo et la cybercriminalité.

Au départ de NITZOS pour l’ex YOUGOSLAVIE en 1992, après avoir mis au point un logiciel de profilage psychologique, il va avoir comme nouvel équipier MAZARIN.

La résolution du meurtre de la centrale est toujours au cœur de son activité et MAZARIN lui ouvre les portes de CARNAVAL, indic-journaliste et surtout de WOLFMANN ancien flic, de sa bibliothèque et de sa « Théorie du crime absolu ».

Grâce à lui je faisais se rejoindre la police de l’état des lieux et l’anti-police des non lieux de l’Etat

Il aura grâce à eux des recoupements sur d’autres victimes de pédophiles et des réseaux en Europe. Il découvrira également le Méthédrine (Juillet 1994), une amphétamine lui permettant de tenir le rythme en dormant un minimum. Un deuxième crime va être commis 7 mois après le premier dans la centrale de BELLEVILLE SUR LOIRE, la Gendarmerie va filmer le corps :

La marionnette est humaine. Ou plus précisément elle l’a été. Son corps est devenu la prothèse organique d’un ensemble de composants technologiques.

Les deux enquêtes sont menées en parallèle, KERNAL pour le premier corps et la gendarmerie pour les trois autres.

“Ce sont des types généralement éduqués alphabétisés et cultivés. Je dirais même que c’est ça leur problème : la culture. Il n’y a rien de pire qu’une connaissance dont on ne sait rien faire. D’inutile, elle devient vite nuisible.”

Un an après la centrale ARRIGY, on retrouve le corps de Catherine TRAUSSNER, près d’une usine de pétrochimie à côté de l’étang de BERRE. Alors que le 4ème crime est commis près de la centrale de CREYS-MALVILLE, le corps de Nadia, une jeune bosniaque, le couperet tombe. KERNAL et son équipe se voient retirer l’enquête au profit de la gendarmerie.

Nous sommes en 1995 et KERNAL apprend à surfer sur le WEB et décide de continuer l’enquête en off.

NITZOS est tué à SARAJEVO et lui adresse à titre posthume son manuscrit. Parallèle étonnant, alors que KERNAL découvre la bibliothèque de WOLFMANN, NITZOS découvre la bibliothèque du docteur Yossip Shapin.

Dans le même temps WOLFMANN quitte PARIS, le quartier qu’il connait a été rasé pour faire place à la Grande Bibliothèque MITTERAND. KERNAL se réfugie dans les livres et la religion.

LA VILLE DANS LE ROMAN

« Voici la ville, la mégapolis de Grand-PARIS, celle qui désormais s’étend en tous sens à cinquante kilomètres du point zéro gravé sur le parvis de Notre-Dame : c’est le PARIS que personne n’ose encore décrire. C’est le PARIS du siècle qui s’en vient, et qui est déjà là.

Il fallait envisager le territoire mégapolitain de nos existences comme une sorte de fantastique simulateur chargé de sélectionner de nouvelles formes de vie. La ville, jusqu’il y a peu construite et élaborée contre les principes du monde naturel, se voyait désormais propulsée dans un au-delà de la nature et de l’artifice, elle laissait alors apparaître les flux parfaitement schizoïdes d’un cerveau dont les centres de commandement disparaissaient au profit de périphéries autonomes.

Au quadrillage urbain se substituait le biotope réticulaire. La ville devenait à son tour une machine cybernétique, elle présupposait la mise en circulation constante de signaux et de paquets d’informations au service desquels les humains s’agitaient. Dans cette ville rendue au régime sauvage de la jungle, quelque chose pourtant s’agençait comme caché dans un pli secret à la beauté, plastique fulgurante, quelque chose qui faisait de cette ultime terminaison de la maladie un spectacle autrement plus poignant et-tragique que toutes les Très Grandes Bibliothèques du socialisme universel.

Cela indiquait en tout cas quelque chose : la beauté ne pouvait naître désormais que de sublimes désastres agencés dans quelques cerveaux solitaires, elle ne pouvait surgir que d’une vision, une vision supraterrestre née de machines perdues dans la nuit, en compagnie des derniers hommes.

Je comprenais peu à peu que PARIS n’existait plus, que la ville de PARIS, ce musée métropolitain qui ne rassemblait désormais plus qu’un sixième de la population de toute la conurbation, n’était pas plus réelle que le Village du Prisonnier. L’idée en vogue prenait corps : PARIS ressemblerait peu à peu à un village médiéval de téléfilm régionaliste, ou bien à la capitale du XIXe siècle style Balzac joué par Depardieu, le tout reconstitué façon Hollywood-le-Pont. Autour du parc à thèmes pour touristes s’étendraient les territoires en imblocation de la réalité, un monde d’échangeurs géants, de lignes de TGV et de RER, de tours de bureaux, d’espaces posturbains en friche, de centres commerciaux, de zones industrielles, d’usines, de centrales, de souterrains, de tunnels, de cités à jeunes délinquants et à réseaux terroristes.

Le futur de la ville lui échappait. Aucun plan d’urbanisme ne serait en mesure de rendre compte de la grâce d’un aéroport à la tombée de la nuit, lorsque chaque avion suit un ami qui ne vous attend pas. Aucun programme politique ne serait en mesure de prévoir le casse qui un jour s’actualiserait par ici, comme un épisode sans doute inclusif de ce processus de sélection.

Si vous ne croyez pas en la science-fiction, c’est, bien sûr, que vous n’avez jamais vécu en banlieue. Je veux dire la vraie banlieue. Je ne parle point-là du faubourg désuet situé aux limites du périphérique (frontière urbanistique et psychosociale qui a fait de PARIS la caricature muséale d’elle-même), ni de la zone pavillonnaire pittoresque sur les hauteurs de Meudon, des petits ponts-au-dessus-de-la-Marne, ou même de la vieille école républicaine sentant bon les encriers et les livres d’histoire de la HP République, encore moins de la cité vachement multi-ethnique et hyper-cool de mon enfance, tous ces trucs de prestidigitateurs verbeux qui encombrent la littérature contemporaine. Non, je vous parle de la vraie banlieue, celle que personne ne voit, celle dont personne ne se souvient, celle qu’on traverse, celle des spectres, celle qu’on atteint avec une seule et mystérieuse petite clé : la clé de contact ».

LE LOUP DU PONT DE TOLBIAC

« La nuit qui tombe sur la ville est une forme humaine de l’obscurité primitive. PARIS est une caverne, une vie souterraine, cryptique, en tout cas elle l’était à l’origine, et quelque chose sans doute a survécu de l’inframonde, en dépit des hautes tours de verre qui tend d’imiter platement, et sans la moindre grandeur ni impétuosité, la verticalité impériale des villes américaines. Il n’est rien dans cette cité qui ne se soit édifié sur un cadavre.

Nous sommes ici au carrefour du temps pour une grande ville-lumière. Nous voici à l’aube de la dernière phase de sa destruction. Les anciennes halles aux vins de Bercy viennent d’être transformées en un immense complexe ultramoderne spectacle, à l’architecture de bunkers militaires, recouverts de gazon artificiel dont le vert hurle sous la lumière électrique. Des concerts de Prince, Johnny Hallyday compétitions de motocross, voire de planche à voiles sont tenus. En face, les vieux Moulins de PARIS dressent leurs silos comme des cathédrales Art nouveau sous un ciel que la lune nimbe d’une lumière douce, fragile, et trouble. Mésas crayeuses vouées à l’érosion urbaine, à la destruction incorporée dans la vie même de la cité, elles tremblent sur elles-mêmes, dans une oscillation invisible du temps, de toute la fragilité d’un siècle qui va mourir.

Un peu plus loin vers l’ouest, les anciens entrepôts frigorifiques de la SNCF, sorte d’improbable château fort industriel sorti de l’imagination délirante d’un ingénieur du rail, servent désormais d’abri pour des compagnies de danse, des studios de répétition, des groupes de roi et des plasticiens subventionnés par la Ville de PARIS, veille de sa hauteur médiévale, et improbable, sur un réseau de chemin de fer, un lot de hangars abandonnés aux illusions de la culture.

La culture a peu à peu raison de la vie. Bientôt, selon les dires de presse, surgiront les premiers étages de la Très Grande Bibliothèque, molosse quadrilatéral en forme de living qui viendra s’élever sur le quartier de vieilles bicoques et de bistrots à prolos que je vois s’étendre encore jusqu’au métro Nationale, avec sa ligne aérienne traversant la Seine vers l’Institut »

INFLUENCES MUSICALES

« Achtung baby » de U2

« Diamond dog » de David Bowie

Tangerine dream

« I am a Warlus » des Beatles

« Trans Europe Express » de Kraftwerk

AVIS PERSONNEL

C’est roman est assez fourni. Le style et les multiples digressions de l’auteur rendent la lecture compliquée. Le synthétiser en quelques pages est une gageure. En revanche, l’ambiance des lieux est formidablement transcrite, tout y est présent jusqu’aux sons et odeurs.

POULET O.

 

 

DANTEC, Maurice G. (2003) : Villa Vortex, Éditions Gallimard, Collection La Noire.

TATI, Jacques, 1967 : Playtime, film, FRANCE, 126′.

GILLIAM, Terry, 1984 : Brazil , film, USA, 131′.

DANTEC, Maurice G. (1999) : Babylon babies, Éditions Gallimard, Collection La Noire.

KASSOVITZ, Mathieu (2008) : Babylon A.D., film, France, 141′.

MEGATON, Olivier (2002) : La Sirène rouge, film, France, 114′.